Le Monde a écrit:Emirates veut faire de Dubaï une plaque tournante du trafic aérienSoixante-dix Airbus A350 - et une option sur cinquante autres -, onze A380 supplémentaires et, au final, un contrat de 20,2 milliards de dollars (13,8 milliards d'euros). Emirates, la compagnie de Dubaï et désormais premier transporteur aérien du Golfe, n'a pas que de gros moyens : elle a aussi de grandes ambitions, et ne manque pas d'irriter un grand nombre de transporteurs.Que va faire Emirates d'une telle flotte ? Avec 111 avions sur le tarmac et 246 en commande, on peut certes répondre à la forte hausse du trafic passager dans la région lors du premier semestre 2007, où il a crû de 17,8 %, selon l'Association du transport aérien international (IATA). Mais on a forcément des arrière-pensées.
En ne tenant compte que des 58 Airbus A380 en commande, Emirates disposera de quelque 25 000 sièges supplémentaires. Si l'on ajoute les 70 exemplaires de l'A350 dans sa configuration minimale de 270 places, ce sont encore près de 19 000 places supplémentaires. Des capacités qui vont bien au-delà de ce que peut absorber l'émirat Dubaï, même en pariant sur une explosion du tourisme local.
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Le modèle économique d'Emirates consiste à détourner le flux de passagers transitant par l'Europe vers son hub de Dubaï", explique un consultant. Un modèle que connaissent bien toutes les compagnies aériennes du monde. C'est ce que pratique Air France à Roissy-Charles-de-Gaulle, Lufthansa à Francfort, ou British Airways à Londres : faire transiter par ces plates-formes des passagers en correspondance, notamment entre l'Asie et l'Amérique ainsi qu'entre l'Asie et l'Afrique.
A sa clientèle venant surtout d'Inde, mais aussi de Malaisie ou du Pakistan, Emirates offre une solution pour aller aux Etats-Unis sans passer par l'Europe. De même, le hub de Dubaï est devenu "incontournable pour aller de Chine ou d'Australie en Afrique en mettant le moins de temps possible", explique Jean-Luc Grillet, directeur général d'Emirates responsable de la France et du Benelux.
OPACITÉ DES COMPTES
Quelque
60 % des revenus proviennent déjà du trafic généré via le hub, c'est-à -dire des vols en correspondance, contre seulement 40 % pour les vols en provenance de ou vers Dubaï. Voilà pourquoi Emirates n'est pas vraiment en odeur de sainteté auprès de ses concurrents. Jean-Cyril Spinetta, le patron d'Air France, a souvent reproché aux compagnies ayant le même modèle qu'Emirates d'aller chasser sur les terres des transporteurs nationaux et de leur prendre une clientèle importante avec leurs bas tarifs, possibles grâce à de larges subventions étatiques. Et des passagers, Emirates a bien l'intention d'en transporter de plus en plus.
Sur les cinq dernières années, Emirates a multiplié par deux le nombre de ses passagers et en a transporté 17,5 millions au cours de son dernier exercice. Elle vise désormais 40 millions de clients en 2012 : de quoi faire encore plus peur aux compagnies européennes.
Interrogé sur la nécessité d'exploiter autant de gros porteurs au départ de Dubaï, M. Grillet se justifie : "Il y a des destinations où nous sommes complètement en sous-capacité. Nous avons, par exemple, 18 vols par jour au départ de Dubaï vers la Grande-Bretagne, dont 8 pour Londres assurés par des Boeing 777-300. Nous offrons donc environ 5 800 sièges par jour, et nous avons un taux de remplissage moyen de 93 %." "Sur un marché en croissance de 20 %, ajoute M. Grillet, il nous faut impérativement offrir plus de sièges, car nous n'avons pas la possibilité d'obtenir d'autres créneaux horaires à Londres. Il faut donc un avion plus gros, et seul l'Airbus A380 peut offrir 45 % de capacités supplémentaires. Et nous avons ce problème avec d'autres destinations, comme l'Australie, par exemple."
Cette stratégie de plus gros avions pourrait également être retenue vers Paris, voire Nice, où la limitation de droit de trafic pénalise la compagnie émiratie.INTRODUCTION EN BOURSE
Cette stratégie serait-elle possible sans la générosité de l'émirat de Dubaï ? L'opacité des comptes d'Emirates est souvent critiquée. Emirates bénéficie-t-elle d'un régime particulier ? Non, assure M. Grillet. "Les taxes aéroportuaires sont, certes, les plus faibles au monde, mais tout le monde peu en profiter, assure-t-il. Bien sûr, nous n'avons pas d'impôt sur les sociétés à Dubaï, mais cela ne nous a pas empêchés de reverser 300 millions de dollars au gouvernement au titre de l'exercice 2007."
Pas question non plus de ne pas payer le carburant à son juste prix, d'autant plus que Dubaï n'a quasiment plus de réserves pétrolières. "Nous payons aussi notre fuel", précise M. Grillet. La facture pétrolière, qui représentait 12,6 % des dépenses il y a une quinzaine d'années, est passée à 13,3 % en 2000 et à 29,1 % en 2007.
Une facture qui n'empêche pas la compagnie d'afficher, pour son dernier exercice, un bénéfice net de 3 milliards de dirhams (561 millions d'euros), qui la place parmi les cinq compagnies aériennes les plus rentables au monde.
La prochaine étape pour Emirates devrait être son introduction en Bourse. Son président, le Britannique Tim Clark, estime que sa valorisation pourrait atteindre 30 milliards de dollars. Son PDG, Cheikh Ahmed Bin Saïd Al Maktoum, qui est aussi le patron de l'aéroport de Dubaï et de l'aviation civile de l'émirat, a rappelé en octobre que cette cotation "faisait partie intégrante de la stratégie du groupe".
François Bostnavaron
Article paru dans l'édition du 14.11.07.AFP/KARIM SAHIBDimanche 11 novembre, la compagnie Emirates a annoncé l'achat de soixante-dix A350, le futur long-courrier de l'avionneur européen, et a commandé onze A380 supplémentaires. Ce contrat, estimé à 20,2 milliards de dollars (13,8 milliards d'euros), est le plus important en valeur enregistré par Airbus. L'avionneur européen a déjà engrangé 1 122 commandes depuis le début 2007, dépassant le niveau historique de 1 111 ventes établi en 2005.