Le Monde a écrit:La "ville des sacres" rattrape le temps perduAvec l'arrivée du TGV, Reims est entrée, en juin 2007, dans le club des villes à moins d'une heure de Paris. Sur la ligne à grande vitesse qui, depuis Paris, se poursuit jusqu'à Francfort et Munich, la ville qui fut jadis le théâtre des sacres royaux est à
45 minutes de la gare de l'Est et à une demi-heure de l'aéroport de Roissy. Cette évolution l'a installée dans l'aire d'attraction de l'Ile-de-France.
La sous-préfecture de la Marne est désormais mieux reliée à la capitale que de nombreuses villes des départements franciliens.L'agglomération rémoise est la plus peuplée des "agglos" du quart nord-est de l'Hexagone. Elle est forte d'un bassin d'emploi de 750 000 habitants et s'étend sur deux régions - la Picardie et Champagne-Ardenne - et trois départements - l'Aisne, les Ardennes et la Marne.
Aux yeux des élus rémois, l'arrivée du TGV a encore renforcé son attractivité. Une cinquantaine d'entreprises et près de 3 000 emplois y ont été créés grâce à la ligne TGV, selon les responsables d'Invest in Reims, l'agence de développement économique créée il y a six ans par la ville et la chambre de commerce.
Depuis 2003, l'agglomération a, certes, perdu environ 1 300 emplois industriels, mais
l'effet TGV a joué un rôle déclencheur pour l'implantation d'entreprises nouvelles, essentiellement tertiaires. Le mouvement s'est toutefois "brutalement ralenti" à partir de septembre 2007, soit un an avant le début de la crise financière, selon Jean-Yves Heyer, directeur général d'Invest in Reims. L'objectif annuel de 500 créations d'emplois que s'était fixé l'agence et qui a été dépassé chaque année risque de ne pas être atteint en 2009. Une embellie s'annonce toutefois avec l'ouverture, prévue en juin 2011, d'un magasin Ikea de 40 000 m2 sur la commune de Thillois, à la frontière de l'agglomération.
Deux ans après la mise en service de la ligne, les projets de restructuration urbaine liés au TGV se poursuivent. En centre-ville, à proximité de la gare, le quartier d'affaires de Clairmarais sort de terre sur d'anciens terrains de la SNCF : 100 000 m2 de bureaux y seront disponibles en 2012. Rémi Demeron, dont la société possède aussi des bureaux à Paris et dans l'Essonne, y a installé, il y a deux mois, son agence de conseil et de recrutement. "La présence du TGV a été un élément de choix important", reconnaît-il. Eros Donadello, directeur financier du voyagiste Kuoni, qui a ouvert son centre d'appels à Reims, en 2007, avec une vingtaine d'emplois à la clé, fournit un argument supplémentaire : "Le personnel local est plus stable, il y a moins de turnover que dans les sociétés parisiennes."
"Nous avons prospecté dans une vingtaine de villes autour de Paris ; seules Orléans et Reims restaient en lice", se rappelle Stéphane Rapicault, responsable des ventes à Inmac Wstore, une entreprise de distribution de produits informatiques, dont le siège social est à Roissy. Si la société a finalement choisi Reims, c'est notamment pour la présence d'écoles d'ingénieurs et de commerce de qualité "et parce qu'il y a ici un marché à conquérir dans le secteur de l'informatique". Stéphane Rapicault fait partie de ces nouveaux Rémois qui ont quitté l'Ile-de-France et mettent en avant la qualité de la vie "du
21e arrondissement de Paris".
Avec, tous les jours, un millier de voyageurs qui font l'aller-retour entre Reims et Paris (dont 620 abonnés), cette ligne est, après celle de Lille, la plus fréquentée des liaisons TGV avec la capitale.Adeline Hazan, maire (PS) de Reims, élue en mars 2008, poursuit les chantiers ouverts par son prédécesseur (UMP), Jean-Louis Schneiter. A commencer par celui du
tramway. Ce dossier sensible a divisé la droite rémoise pendant près de vingt ans. Après avoir lancé le projet, l'ancien maire (RPR) Jean Falala l'avait subitement arrêté en janvier 1991. Son successeur, Jean-Louis Schneiter, l'avait remis en selle en 1999. Lors de la campagne pour les municipales de mars 2008, les deux ministres UMP, tous deux candidats, Renaud Dutreil et Catherine Vautrin, se sont eux aussi divisés sur le sujet.
La question est désormais réglée, et la nouvelle équipe municipale préfère mettre l'accent sur le
grand projet urbain, baptisé "Reims 2020" sur lequel travaillent trois cabinets d'architectes urbanistes - Christian Devillers, Bruno Fortier et Philippe Panerai. Leur mission : repenser l'ensemble des liaisons entre les différents quartiers, l'utilisation des friches urbaines et militaires situées aux limites de l'agglomération, ou encore la requalification en "boulevard urbain" de l'autoroute qui traverse la cité et qui va être déclassée.
Cette politique de grands travaux dont rêvent Mme Hazan et ses adjoints risque toutefois de se heurter aux limites financières de la collectivité. "Cette ville est pauvre, en dépit de sa réputation liée au champagne et à la cathédrale", admet Serge Pugeault, adjoint de Mme Hazan chargé du développement économique. Epargne, investissements, dette : tous les indicateurs sont en rouge. "Sans effort de maîtrise particulier sur le fonctionnement, une réduction significative des investissements apparaît incontournable", conclut un récent audit sur les finances locales.
Autre contrainte : Reims est l'une des villes les plus denses de France, ce qui rend le foncier rare et cher en centre-ville, plus accessible dans les communes périphériques, hors de prix dans les zones où, sous la pression des producteurs de champagne, le prix de l'hectare peut atteindre 1 million d'euros. Tout espace libre devient ici un gros enjeu politique. En 2012, à 10 kilomètres au nord du centre-ville, les 512 hectares de la base aérienne seront libérés. En attendant, les regards se tournent vers Bezannes, au sud. Sur la plus petite commune de Reims-Métropole (1 350 habitants) où se trouve le site de la deuxième gare TGV, une ZAC de 172 hectares a été créée.
A terme, environ 9 000 salariés occuperont les 320 000 mètres carrés de bureaux prévus sur la zone. Mais pour l'instant, un seul immeuble est en cours de construction. Motifs de ce lent démarrage : la crise économique mais aussi la résistance des élus et des habitants. Ces derniers rejettent l'idée d'un développement de type Euralille, le quartier d'affaires construit autour des gares TGV de la grande métropole du Nord.
Jean-Pierre Belfie, maire (div. droite) de Bezannes depuis 1995 et vice-président de Reims-Métropole, défend bec et ongles le principe d'un équilibre entre lieux de vie et d'activité. Il a fait voter par le conseil municipal une "charte pour un urbanisme durable" ; il est soutenu par une association de défense du patrimoine qui réunit, depuis plus de quinze ans, 80 % des habitants de la commune.
M. Belfie ne remet pas en question le développement de la zone, mais il est parvenu à faire avaliser un projet de golf sur la ZAC, et rêve d'y installer l'hippodrome de Reims. La résistance de Bezannes à l'urbanisation à marche forcée pourrait faire des émules parmi les 140 communes rurales qui encerclent l'agglomération rémoise.
Dominique Buffier et Christine Garin
Article paru dans l'édition du 08.04.09.