Sud Ouest 9 mai 2008 a écrit:La SNCF enterre le « contrat du siècle »
Bombardier, Siemens et bien sûr Alstom - grandissime favori avec son AGV (1) -, ils en rêvaient tous. Déjà prêts à ferrailler pour emporter cette méga commande estimée à plus de sept milliards d'euros, les géants de l'industrie ferroviaire viennent hélas d'apprendre que la SNCF renonçait à remplacer 200 à 300 de ses trains à grande vitesse. La crise est passée par là , tout juste évoque-t-on désormais la rénovation des rames existantes, ainsi que quelques achats de petites séries de 15 à 25 rames. À Aytré, dans la banlieue de La Rochelle, Georges Lacaze dirige l'usine Alstom, élevée au rang de centre d'excellence pour les trains à grande vitesse.
« Sud Ouest ».Comment avez-vous réagi à l'annonce de la SNCF ?
Georges Lacaze. C'est le contrat du siècle, et donc, en général, nous avons un siècle pour le réaliser. Nous n'en sommes qu'à la première décade. Mais bon, là c'est sûr, ce n'est plus pour tout de suite. C'est le moins que l'on puisse dire. Il s'agit d'un nouveau challenge, il va falloir s'adapter à cet environnement économique incertain. Aussi bien en France qu'à l'étranger.
Cinq années après avoir été sauvée de la faillite, Alstom a publié cette semaine des résultats record, notamment pour sa branche transports.
Le faux bond de la SNCF peut-il remettre en cause les perspectives de l'usine d'Aytré, où sont justement fabriquées les rames à grande vitesse ?
Non. Nous avons décidé d'investir 30 millions d'euros sur ce site, afin de développer la production de l'AGV et des TGV nouvelle génération. Ce projet est sur les rails, et il n'est absolument pas remis en cause. Nous terminons actuellement un programme de 28 TGV à deux niveaux, qui va nous occuper jusqu'à fin 2010. Mais grâce aux gros contrats remportés l'an dernier, nous avons aussi du travail jusqu'en 2014, avec les 55 rames de nouveaux TGV que nous allons fabriquer pour la SNCF. Sans compter 40 autres rames en option pour 2016. Je ne sais pas si beaucoup d'entreprises ont la chance d'avoir des plans de charges jusqu'à de tels horizons.
Il y a quelques mois, aux côtés de Nicolas Sarkozy à Aytré, vous aviez baptisé en grandes pompes l'automotrice à grande vitesse, héritière technologique et commerciale du TGV. On ne peut pas dire que les clients se bousculent depuis...
Mais nous l'avons vendue à l'export du premier coup, avec 12 rames construites à La Rochelle pour les Italiens de NTV, et ça, c'est remarquable. Nous débutons d'ailleurs la fabrication du prototype de série ces jours-ci, et les essais dynamiques auront lieu dans un an environ. Avec un train comme l'AGV, nous avons justement anticipé la situation actuelle.
La SNCF n'en a pourtant toujours pas commandé...
Mais c'est quand elle veut... Avec en complément le nouveau Duplex, nous devrions correspondre aux petites séries que la SNCF préfère finalement commander à la place du contrat du siècle.
Certes, aux yeux des actionnaires, on ne vend en effet jamais assez de trains, mais l'AGV reste un produit générique, hyper compétitif, très récent.
À l'inverse, une croissance trop rapide entraînerait une prise de risques supplémentaire. Ceci étant, il serait bon, en effet, que nous signions rapidement un nouveau contrat.
Ne redoutez-vous pas que l'AGV soit victime du syndrome Rafale, cet avion ultra-performant, dont les ventes n'ont malgré tout jamais décollé ?
L'exemple est très bon. Sauf que le Rafale n'a été vendu qu'à l'état-major français, alors que l'AGV a remporté son premier contrat à l'étranger, face à Siemens. Et à notre connaissance, personne dans le monde n'a vendu de « train à grande vitesse à un niveau » depuis.
Quant au Rafale, il se retrouve en face de toute une gamme d'avions concurrents.
Cette semaine, au moment même où le PDG d'Alstom avouait compter sur les plans de relance, la SNCF annonçait de façon presque confidentielle que le fameux contrat du siècle était mort-né.Une grosse surprise ?
Oui et non. Tout le monde se doutait que les plans de relance toucheraient en priorité les infrastructures. Mais à terme, il faudra bien faire rouler des trains dessus. Nous restons très vigilants, mais n'oublions pas que nos TGV sont également en lice pour des appels d'offres à l'étranger, notamment au Maroc et en Arabie Saoudite.
On ne parle plus de la Californie, des États-Unis ?
Si, en tout cas, on en parle dans les journaux. Les discussions se poursuivent, mais est-ce que l'on va signer cette année ? Je n'en sais rien. N'oubliez pas non plus que le marché du tramway continue de progresser partout dans le monde.
Le recrutement de salariés (2) est-il toujours d'actualité à La Rochelle ?
Nous avons beaucoup recruté, et nous recruterons encore. Mais avec mesure, compte tenu du contexte que nous venons d'évoquer.
(1) Automotrice à grande vitesse. (2) Le site d'Aytré emploie plus de 1 150 personnes.
Sud-Ouest a écrit:DU Cà”TÉ DU GOUVERNEMENT.
« Ce contrat était un fantasme »
Dans l'entourage de Dominique Bussereau et de Jean-Louis Borloo, on assure qu'il n'a jamais été question d'un appel d'offres unique. « Avec un marché d'une telle ampleur, ce n'est pas économiquement pertinent. D'ailleurs, ce terme de marché du siècle a été inventé par les médias, et peut-être aussi fantasmé par les constructeurs. Le reste dépend de la politique de la SNCF, pas du gouvernement. Mais si la SNCF décide de faire vivre ses rames le plus longtemps possible, nous poursuivons quand même sur un programme de renouvellement de grande ampleur. »
Il n'empêche, certains trouveront curieux que le PDG de la SNCF n'ait pas annoncé lui-même un changement de stratégie aussi crucial. Laissant pour le coup à l'un de ses lieutenants le soin de raccrocher ce wagon à d'autres certainement plus essentiels, comme par exemple les animations assurées par Disneyland dans les compartiments familles.