Effectivement, les informations ne sont pas si nombreuses :
* dans le Plan Freycinet (liste des 181 lignes, inscrite dans la loi du 17 juillet 1879), cette ligne était bien présente :
N° 87 - Ligne de Libourne à ou près Langon - 43 km
* sauf que la politique est derrière les choix, comme souvent, et c'est cette fois le commerce plutôt que les voyageurs qui ont eu une action majeure sur le choix final puisque le but était de compléter ou remplacer le mode de transport fluvial, devenu un peu vieillot :
Les Cahiers de l'Entre-deux-Mers - N°82 - Janvier - Février 2008 a écrit:Les conflits d’intérêts attisent la polémique entre les personnalités politiques locales
La Compagnie des Charentes, alors gestionnaire de la ligne de Bordeaux à La Sauve, avait émis en 1875, le projet de relier Libourne à Citon-Cénac. Tronçon qui ne sera jamais réalisé. Reprenant l’idée au bénéfice du canton de Cadillac, M. Reinhold Dezeiméris, conseiller général, demanda dans un mémoire dès 1878, la construction de la ligne Libourne–Langon qui devrait contribuer à une meilleure desserte de la région : «… Cadillac est devenu le centre commercial de ce pays de Bénauge. Le mouvement qui résulte de ses marchés hebdomadaires de ses marchandises, de ses foires mensuelles, de ses marchés journaliers de fruits, en fait une des places de commerce les plus notables du département… L’établissement en Benauge d’un chemin de fer qui ne passerait pas par Cadillac aurait pour effet de drainer sur Libourne et Langon, les éléments de trafic qui se portent depuis longtemps sur Cadillac… »
En 1879, cette ligne sera d’ailleurs inscrite dans la loi des lignes secondaires d’intérêt général, comme la ligne de Bordeaux à Eymet.
(…)
Devant la profusion des projets, M. Dézeimeris s’emploie, dès 1882, avec une nouvelle publication, à entraver toute tentative de liaison directe entre Bordeaux et Cadillac par tramway pour préserver l’intérêt économique de la voie ferrée Libourne-Langon qui fut concédée, à titre éventuel, pour moitié aux Compagnies du Midi en 1883 et du PO en 1892, avec gare commune à Espiet.
Le maire de Cadillac, Albert Bonnefoux, appuie la liaison Libourne-Langon, car il considère que les cantons de Cadillac, Créon, Targon et Branne, cruellement frappés par le phylloxéra, ont besoin de cette ligne afin de reconstituer rapidement le vignoble, alors que la construction d’un tramway en accotement de route serait inefficace pour le trafic et dangereux pour la circulation.
Mais c’était sans compter sur l’opposition farouche et déterminée du député Cazauvieilh, qui est partisan d’un tramway direct entre Bordeaux et Cadillac, en prenant en compte les intérêts des nombreuses communes jalonnant la rive droite entre Latresne et Cadillac, qui les mettrait en relation directe avec Bordeaux.
Il va s’attacher à favoriser, pour sa circonscription, les initiatives privées, dont celle du projet de tramway de M. Edouard Empain sollicité par Cazauvieilh,
mais rejeté par Dézeimeris parce qu’il était de nationalité belge comme Philippart qui fut ruiné en 1880 ; puis celle de M. Emile Faugère en 1890, ingénieur civil d’une grande notoriété.
Il parvint à défaire la résistance de son adversaire en convainquant Faugère de briguer la concession, d’autant que l’établissement de la ligne de Libourne à Langon, soumise à des controverses, n’est pas encore déclarée d’utilité publique.
(…)
Devant les lenteurs dues aux réticences des compagnies du Midi et du PO qui devaient se partager une exploitation peu rentable, douze ans après les promesses du premier projet et devant l’impatience légitime de ses électeurs, M. Dézeiméris change d’avis. Faute d’obtenir la ligne de Libourne à Langon par Cadillac, il se résigne à accepter le tramway.
Emile Faugère, ardemment soutenu par Cazauvieilh, sollicite une première demande de concession le 26 juillet 1890. L’année suivante, la commune de Cadillac, présidée par M. Clément Dubourg, donne un avis favorable au tracé du tramway, alors que quatre ans plus tôt elle demandait que la ligne de Libourne à Langon « intervienne dans les plus brefs délais possibles ».
M. Georges Cazeaux-Cazalet, nouveau maire de Cadillac en 1896, continue la politique de son prédécesseur en affinant les points particuliers favorables à la commune. En 1891, Faugère arrête son projet de tracé à Cadillac, dans la mesure où il ne connaît pas le tracé réel de Libourne à Langon.
Les deux compagnies retardent le plus possible sa construction, doutant de sa réelle rentabilité et dont les services des gares Saint-Jean et La Bastide-Orléans eurent à pâtir s’il avait existé.
L’enquête d’utilité publique, menée du 10 juin au 9 juillet 1891, montre avec acuité les possibilités de déplacement dans cette région : 70 personnes traversent quotidiennement le pont à péage de Langoiran pour se rendre à la gare de Portets de la ligne du Midi alors que celui de Cadillac est gratuit (la commune de Langoiran est déjà déficitaire de 4000 FF de recette pour le passage et craint la concurrence du tramway).
Les bateaux à vapeur accaparent à eux seuls pour le 4e trimestre 1890 l’essentiel du transport : 75 000 voyageurs entre Bordeaux et Quinsac et 65 000 entre Bordeaux et Latresne pour une durée du trajet d’une heure, avec seulement six voyages vers Quinsac et sept vers Latresne. Mais ces deux communes
sont avantagées par leur proximité de Bordeaux où les bateaux accostent au centre ville, face à la Bourse. Cependant, d’autres compagnies font les trajets de Bordeaux à Paillet, Castets et La Réole et dont la clientèle se reportera assurément sur le tramway, affirment les commissaires.
Des bateaux n’appartenant pas à la région viennent charger les produits du pays, notamment les pierres, et au profit des industriels qui assurent des messageries vers Bordeaux au moyen de yoles spécialement aménagées. On peut compter également sur le transfert des produits transportés par les 52 sloops ou gabarres attachés aux différents ports et des nombreux transports effectués par les rouliers et les voituriers : en 1889, on pouvait compter 199 colliers entre Bordeaux et Latresne et 131 entre Latresne et Cadillac. Enfin, par cette enquête, on apprend que la densité de population est plus forte entre les 32 km qui séparent Bordeaux de Cadillac que sur les lignes de chemin de fer de Lacanau, du Médoc et d’Hosteins à Beautiran, mais inférieure à celle de Bordeaux à Langon.
Les commissaires enquêteurs concluent que même si des liaisons par voitures publiques et par bateaux existent à Paillet et à Castets, une partie des voyageurs reviendra au tramway dont la vitesse est plus grande et plus régulière avec une desserte au centre des villages.
Les primeurs et les marchandises, transportés habituellement par des yoles, le seront dès lors par le tramway qui permettra aussi leur transfert en gare commune de Latresne vers le réseau d’Orléans, pour celles qui iront au-delà de Bordeaux grâce au transfert à la gare de La Bastide du PO. La Commission
donnera un avis favorable, même si elle admet que les résultats financiers seront au début au-dessous des estimations.
(…)
De vives craintes sont émises en 1882 par des conseillers généraux, au sujet de l’influence que ce tramway pourrait avoir sur la réalisation d’un chemin de fer d’intérêt général de Latresne à Cadillac qui devait s’imposer le jour où la ligne de Libourne à Langon sera construite (avec l’espoir de prolonger vers Saint-Macaire). En 1884, considérant que la question de la ligne de Libourne à Langon était toujours en suspens, le ministre des Travaux publics rejeta la demande (le Conseil général releva des difficultés techniques et indécision de la construction de la ligne de Libourne à Langon).