Katastrof a écrit:Tout de même je trouve que l'on va un peu vite en acceptant le fait que "la fréquentation augmente", sans vouloir en chercher plus.
Quelques éléments de réflexion...
Il faut examiner les facteurs déterminant le choix modal en faveur des transports publics. Parmi les plus importants : le temps de parcours, la fréquence de passage et la régularité. Des facteurs généralement bien contrôlés dans les réseaux tram « modernes ».
Il y a aussi ce qu'on appelle dans le jargon la « constante modale ». Soit, un paramètre mesuré empiriquement et statistiquement significatif, qui intègre un ensemble de paramètres difficilement mesurables et souvent subjectifs tels que le confort, l'image,... Ainsi, dans certaines techniques de modélisation utilisées aux Pays-Bas, on associe au tram un facteur de croissance de la fréquentation (de mémoire, 15 ou 20%) simplement dû à la substitution d'un bus par un tram, toute autre chose étant égale par ailleurs.
Bien sûr, tous ces paramètres ne sont pas l'exclusivité du tram : on peut concevoir un système de bus à haut niveau de service qui atteint en théorie l'image et les performances du tram. Empiriquement, on a pu observer jusqu'ici que c'est rarement le cas, parce que les autorités locales et la population civile sont plus enclines à accepter des compromis qui nuisent à l'efficacité du système avec un bus qu'avec un tram...
Si le bus gêne, il n'a qu'à faire un détour. Si les commerçants crient trop fort contre l'installation d'un site propre autobus parce que cela engendre une diminution de l'offre de stationnement, il n'a qu'à rouler en section banalisée à certains endroits. Un automobiliste lambda n'aura aucun scrupule à s'arrêter sur un couloir bus « pour cinq minutes », puisque le bus peut faire un écart, etc. De par sa rigidité, ces compromis sont plus difficiles avec un tram : les rails sont là et il n'y a pas d'autre choix : le tram doit passer. Son installation coûte cher, il n'est pas question de mettre à mal son efficacité par des compromis hasardeux... De ce point de vue, la rigidité du tram en fait son atout. Pas pour des raisons techniques, mais pour des questions de courage politique.
L'augmentation de la fréquentation due au tram est bien réelle : je ne connais pas les chiffres actuels, mais l'effet sur la fréquentation de la mise en service du tram dans les réseaux français pionniers (Grenoble, Strasbourg, Nantes...) a été très significatif : par exemple, +40% à Grenoble entre 1985 et 1992, +27% à Rouen un an après la mise en service du Metrobus, +19% à Nantes entre 1994 et 1996 (mise en service de la première ligne)... dans tous ces exemples, l'augmentation de la fréquentation dépasse largement celle de l'offre.
Ces bons résultats doivent cependant être quelque peu tempérés : à cette époque en France, et à l'exception de Paris (et peut-être de Lyon et Marseille), les réseaux TC des villes de province étaient surtout conçus pour n'attirer que les « captifs » (= les non-automobilistes : les étudiants, les seniors, les classes sociales les moins aisées). La fréquentation des TC avant la mise en œuvre du tram était dès lors très basse et les gains étaient faciles à obtenir dans l'absolu. En outre, plusieurs enquêtes ménages indiquent qu'une part importante des nouveaux utilisateurs des TC, attirés par le tram, est constituée d'anciens piétons, de cyclistes (dans certains réseaux, le tram est perçu comme un véritable trottoir roulant) ou des personnes qui ne se déplaçaient pas auparavant.
Ainsi, l'effet sur le report modal (diminution du trafic automobile) n'est observé que si, parallèlement à la construction du tram, des mesures sont prises pour diminuer l'espace alloué à la voiture dans les centres urbains : entre autres, réduction des capacités routières et politique de stationnement dissuasive. Par exemple, une enquête ménage réalisée à Nantes au début des années '90 a mis en évidence le fait que, le long du corridor desservi par la ligne 1, la part de marché du tram pour les personnes en situation de choix modal (= ayant une voiture à leur disposition) s'élevait à seulement 8% pour les personnes disposant d'un parking réservé à leur lieu de travail, et à 31% pour les mêmes personnes n'en disposant pas.
Ces politiques dissuasives sont souvent perçues comme peu populaires a priori, mais peuvent être bien acceptées a posteriori si le projet tram est bien mené. Ainsi, à Grenoble, la majorité des commerçants étaient opposées au tram avant l'installation de la ligne A. Lorsqu'on a parlé de la ligne B, certains spéculaient à l'avance sur le tracé du tram pour être sûr d'y avoir une vitrine.