Toujours sur les MI09, la Cour des Comptes s'est penchée sur les conditions de la commande de ce coûteux matériel par la RATP
lemonde.fr, Béatrice Jérôme a écrit:La Cour des comptes accable la RATP pour sa gestion du marché du RER A
Les rames du RER A font l'objet d'un rapport critique de la Cour des comptes, resté confidentiel depuis juin2012, et que "Le Monde" s'est procuré.
Rutilantes dans leur robe d'acier grise et verte, elles traversent depuis près d'un an l'Ile-de-France d'est en ouest en passant par Paris. Inaugurées le 5 décembre 2011 par Nicolas Sarkozy, les nouvelles rames à deux étages du RER A devaient, selon le président de la République, à l'orée de sa campagne présidentielle, améliorer les transports de "millions" de voyageurs. Aujourd'hui, ces rames font l'objet d'un rapport critique de la Cour des comptes, resté confidentiel depuis juin 2012, et que Le Monde s'est procuré. Celui-ci dénonce la "pratique contestable" et "peu efficace" de la RATP pour lancer au meilleur prix ce marché de 2 milliards d'euros diligenté par l'Elysée.
La commande passée en avril 2009 par la Régie à Alstom-Bombardier de 65 trains n'a pas permis de faire jouer "ouvertement la concurrence", souligne le rapport. Pour respecter la promesse présidentielle de livrer en un temps record 65 trains, le PDG de la RATP, Pierre Mongin, a choisi de commander "un matériel aussi proche que possible" des trains déjà en service sur la ligne, construits par le groupement Alstom-Bombardier, explique la Cour. L'industriel a pu faire des propositions rapidement. Ce qui l'a "favorisé" au détriment de concurrents potentiels. Aucun n'a présenté d'offre alternative.
"COÛTS PRÉVISIONNELS TRÈS INFÉRIEURS À L'ESTIMATION RÉELLE"
La direction de la RATP a dissimulé la vérité des prix à son conseil d'administration en diffusant "des coûts prévisionnels très inférieurs à l'estimation réelle", et ce "en toute connaissance de cause". La direction de l'entreprise a justifié à la Cour cette démarche en expliquant qu'elle visait à "dissuader les industriels de présenter des offres trop chères", indique le rapport.
La Cour des comptes réfute cet argument en indiquant qu'"il est possible de se demander" si "le bas niveau de l'estimation" n'a pas simplement "contribué à dissuader les industriels autres qu'Alstom-Bombardier de déposer une offre".
Dans la lettre jointe au rapport, datée du 30 août et destinée à Gilles Carrez, président (UMP) de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Didier Migaud, le premier président de la Cour, observe que "cette absence de concurrence largement prévisible n'a pas été propice à l'obtention de conditions financières favorables" à la RATP.
L'estimation "leurre" établissait le coût par train à 20 millions d'euros. Ce montant "ne reposait sur aucune analyse", indique la Cour. Il a été présenté au Syndicat des transports d'Ile-de-France (STIF). L'autorité organisatrice des transports, présidée par Jean-Paul Huchon (PS) – à la tête du conseil régional – a, "pour la première fois", souligne M. Migaud, accepté de "cofinancer un programme majeur d'acquisition de matériel". Mais le STIF s'est engagé à payer la moitié du marché sur la base du coût prévisionnel annoncé par la RATP en 2008, c'est-à-dire à verser 650 millions d'euros.
LA MAIN À LA POCHE
Lors de la signature du marché en 2009, l'offre réelle d'Alstom a atteint plus de 25,8 millions d'euros par train. La RATP a tenté d'obtenir une participation du STIF paritaire mais au prorata du coût réel. Elle a essuyé un refus net et clair de la part de M. Huchon. La Régie s'est vue contrainte de prendre à sa charge les 190 millions d'euros supplémentaires par rapport à ce qu'elle aurait dû payer si elle avait fait la vérité des prix dès le départ. Au final, le STIF ne supporte que 37 % du coût réel total, au lieu de la moitié. "La stratégie" de la RATP "était peu efficace pour tirer les prix vers le bas", observe M. Migaud. Avec une seule entreprise sur les rangs, elle n'était pas en position de force pour négocier. Le bluff sur les prix "a privé la Régie d'une partie du financement qu'elle pouvait espérer du STIF", conclut la Cour.
En juin 2012, le marché des 65 trains a été réévalué à 2 milliards d'euros. Le STIF promet toujours de verser 650 millions d'euros. Reste 1,35 milliard d'euros à la charge de la RATP, soit plus des deux tiers du coût. Consolation : selon la Cour, la Régie devrait se voir compenser en "grande partie" ce manque à gagner après 2039. Ce sera aux collectivités qui financent le STIF de mettre la main à la poche pour payer au prix fort la facture présidentielle de 2011.
Béatrice Jérôme
(l'illustration de l'article étant un beau MS61 rénové
)