otto a écrit:L’enquête publique concernant le prolongement du tramway T 1 entre la gare de Noisy-le-Sec et Val-de-Fontenay (Val-de-Marne) se tiendra du 17 juin au 31 juillet.
Avis d'enquête publique - Prolongement du tramway T1 de Bobigny à Val de Fontenay
Le Dossier d’enquête publique
Volumineux dossier d’enquête (676 pages, si je n’ai rien oublié), un peu long à lire mais qui comporte des éléments très instructifs. Sur la forme, on peut se demander pourquoi certaines informations sont répliquées à plusieurs reprises. On a parfois un peu l’impression que c’est fait pour noyer le poisson. Parce que, des poissons, il y en a dans ce projet. Et des beaux…
Tout d’abord, et ce n’est pas une surprise, il ne s’agit pas d’un simple projet de construction d’un bout de ligne de tramway et la notice explicative (Pièce C du dossier, page 83) est très claire à ce sujet. Le prolongement du T1 répond à un double objectif : objectif de transport et objectif d’aménagement de l’espace public, avec notamment à Romainville et Montreuil une « requalification » de l’A186 en avenue paysagère avec remise au niveau du terrain naturel. L’autorité environnementale l’a fort justement relevé (Pièce I, Chapitre 1, page 9) :
Le présent projet « porte » la requalification de l’A186 en avenue paysagère, ainsi soumise à enquête publique en tant que composante du prolongement de la ligne T1. Il s’agit d’une opération de grande envergure qui dépasse le strict domaine de l’optimisation du tracé du tramway, même si les deux décisions sont étroitement liées.
Ce réaménagement, il y a de nombreuses années qu’on en parle. J’ai habité dans le quartier des Ruffins à Montreuil il y a un peu plus de vingt ans et on nous en parlait déjà, quand l’idée de rejoindre l’A86 avait été abandonnée. La surprise vient des « détails » de l’aménagement envisagé. Tel que le projet est présenté (Pièce C, notice explicative, page 137) l’A186 sera tellement bien « requalifiée » qu’on va en faire une « avenue paysagère » interdite à tout véhicule en dehors du tram !!! Une « requalification » pour le moins sévère :
La volonté (…) de réintroduire l’agriculture en ville dans le cadre du projet agriculturel porté par la ville a concouru à la mise en place d’une section du tracé sans circulation de véhicules, entre la rue de Rosny et la rue Pierre de Montreuil
La justification est donnée en quelques mots page 426 (Pièce G, Etude d’impact, chapitre 5) : si on avait choisi de laisser passer les voitures dans ce secteur, on aurait continué à avoir du trafic automobile dans le secteur préservé des Murs à Pêches appelé à muter dans le cadre du projet « agriculturel » de la commune et le shunt aurait toujours été possible entre l’A3 et l’A86. C’est évidemment un argument complètement bidon, vu qu’on ne peut pas rattraper l’A86 en bas de la côte des Ruffins ! En plus, on néglige complètement le problème du report du trafic sur les autres axes du secteur que la coupure de l'A186 va induire...
D’où sort cette proposition inédite d’avenue paysagère sans voiture ? Mystère… On a juste une petite indication, sans doute involontaire, au paragraphe 3.3.11.2 Description du projet, en page 129 de la pièce C :
Les principes qui ont conduit au projet actuel, issus du programme, sont les suivants (…)
Issus du programme ??? Quel programme ??? Sans doute le programme de mandature de Voynet… Ils ont dû oublier de supprimer ces 3 mots en faisant leur copier-coller pour le dossier d’enquête publique…
Toujours est-il que, subrepticement, on se prépare à couper à la circulation un axe de desserte intercommunale, sans se préoccuper du flux qui l’emprunte actuellement et qui représente tout de même, d’après la carte du trafic qui figure en page 484 de la pièce G, Chapitre 6, environ 15.000 véhicules par jour (c'est-à-dire 1500 à 2000 véhicules par heure en heure de pointe)… Rien n’est dit dans le dossier sur la nature de ce flux (d’où viennent les véhicules, où vont-ils, par où passeront-ils à l’avenir, quel impact aura ce transfert de circulation sur les axes de substitution, etc.).
J’en connais quelques-uns ici qui vont immédiatement se précipiter pour me répliquer « Report modal ! ». Les automobilistes en question vont prendre le tram et ils n’auront plus besoin de route pour circuler !
C’est effectivement ce qui est expliqué dans le dossier (Pièce G Etude d’impact, chapitre 6, Effet sur les voies de communication, page 480) :
Le secteur est traversé principalement par des radiales constituant un maillage routier très serré mais surchargé qui entraine sur l’ensemble du réseau (autoroutes et voies rapides comprises) des nuisances d’ordre divers : perte de temps, aggravation de la pollution et paralysie des transports.
Ce réseau routier est insuffisant pour assurer en zone dense, l’écoulement du trafic de moyenne distance, de banlieue à banlieue, perturbé par le trafic radial ou de transit.
Le projet vise un report modal de la voiture vers les modes alternatifs, dont notamment les transports collectifs.
Mouais… Sauf que les concepteurs du projet, eux-mêmes, ne croient pas à ce mythe du report modal spontané, juste parce qu’un bout de ligne de tram est prolongé ! Ils ont d’ailleurs été obligés de l’écrire dans un tout petit paragraphe du chapitre 1.4 de la pièce H Evaluation socio-économique du projet, page 620 : plus de 90% des clients du tram seront des voyageurs utilisant déjà les transports en commun pour se déplacer !!!
D’après les estimations, la nouvelle clientèle représente 9 à 11 % du trafic total (6 à 8 % de report VP et de 2 à 4 % de trafic induit)
Quant à l’Autorité environnementale, elle y croit encore moins, puisqu’elle fait remarquer (Pièce I, chapitre 1, page 13, paragraphe 2.5) :
Par contre, il n’est pas facile de comprendre pourquoi les reports modaux de trafic escomptés (6 à 8 % de report modal depuis les véhicules particuliers) sont très significativement supérieurs au constat fait a posteriori sur la ligne actuelle du T1 : le rapport de la Cour des Comptes de 2010 sur les transports ferroviaires régionaux en Ile-de-France mentionne que l’étude menée en 2010 par le CGEDD (nota : bilan LOTI) constatait un report modal notable d’anciens piétons (7,3 %) mais moins élevé que prévu pour le trafic automobile (3,7 % au lieu de 6 %).
Le projet de prolongement du T1 (s’il est déclaré d’utilité publique dans a forme actuelle) va donc conduire à fermer à toute circulation un axe de circulation majeur juste pour le plaisir des Verts de Montreuil qui disent vouloir réintroduire l’agriculture en ville (et au passage, récupérer des hectares d’emprises urbanisables…), sans même en étudier sérieusement les conséquences. En tout cas, le détail du projet est bien loin des objectifs exposés dans les premières pages de la notice explicative, celles que la majorité risque de se contenter de lire (pièce C, pages 31 à 33) :
L’A186, dans sa forme inachevée est surdimensionnée au regard des trafics écoulés. Sa requalification en avenue paysagère est donc possible à condition de conserver une capacité raisonnable. (…)
Le prolongement du T1 relie les centres urbains entre eux, en reconstituants des liaisons entre quartiers, en désenclavant des territoires mal desservis. Il rompt leur isolement par un accès direct et rapide aux transports collectifs. (…)
Le projet s’accompagne à Romainville et Montreuil, d’une requalification de l’A186 en avenue paysagère, remise au niveau du terrain naturel et reconnectée aux voiries locales et avec une implantation latérale du tramway. (…)
Zéro voiture pour une avenue paysagère, est-ce bien « raisonnable » ???
Autre problème grave en perspective : le débouché du tram à la limite de Rosny et Fontenay, sur l’ex-RN186 au niveau de la bretelle d’accès à l’A86. On découvre par une petite phrase anodine en page 151 de la Notice explicative (pièce C) que :
Les anciennes bretelles d’entrée et de sortie sont reconfigurées et redressées afin de déboucher sur un carrefour à feux au sortir du pont du RER E.
La plateforme vient traverser ce nouveau carrefour en diagonale afin de s’installer sur l’ancienne bretelle autoroutière de sortie sens A86 extérieure. Des emprises sont ainsi libérées pour accueillir la station Faidherbe et pour le futur développement de la ville.
Quand on regarde le détail de la « reconfiguration » annoncée (pages 153 et 156), on réalise que, sans autre raison que libérer des emprises valorisables pour la ville de Fontenay, on va créer un aménagement dont les capacités d’écoulement sont manifestement inférieures au flux existant. Là encore, on va provoquer des bouchons et un report de circulation sur d’autres axes urbains. Le plus flagrant est le nouveau carrefour pour prendre la bretelle vers l’A86 en direction de l’A3 : d’une situation actuelle un peu surabondante où on accède à l’autoroute tout droit sur 3 files avec un carrefour à feux, on va se retrouver dans une configuration où il y aura toujours un carrefour à feux mais l’accès se fera sur une seule file dédiée avec tourne-à-gauche ! Il est bien évident que, même en optimisant le réglage des feux, on va diviser par plus de 2 la capacité d’écoulement de ce carrefour et qu'il ne pourra pas absorber le flux (d’après les cartes de trafic des pages 484 et 485 de l’étude d’impact - pièce G, chapitre 6 – c’est environ 20.000 véhicules par jour).
Quant à l’ex-RN186, qui comportait autrefois (quand elle servait de débouché à l’A86) 2 fois 3 files avec stationnement bilatéral, elle serait soi-disant trop étroite pour y laisser plus que 3 files pour les voitures (et les nombreux poids lourds) « le sens de la troisième voie alternant en cours de section » ! C'est-à-dire que dans les deux sens le flux sera amené à s’écouler sur une seule file. C’est, encore une fois, incompatible avec le flux annoncé pages 484 et 485 (plus de 25.000 véhicules par jour), ça provoquera forcément des bouchons énormes et c’est en totale contradiction avec l’objectif annoncé (pièce C, paragraphe 3.3.15.2, page 154) :
L’objectif de l’aménagement est :
- d’implanter la plateforme de manière à ne pas impacter le trafic routier, notamment en direction des bretelles autoroutières.
Mais apparemment, les concepteurs du projet ne sont pas à une contradiction près…
Mais, au fait, derrière tous ces réaménagements de voirie, il ne faudrait oublier qu’il y a aussi un projet de construction d’un bout de ligne de tramway qui sert de justification à l’ensemble… Alors, y aura-t-il des clients dans ces trams ? En clair, y a-t-il vraiment un besoin qui justifie qu’on dépense tout cet argent ???
Pour trouver la réponse, il faut aller en page 619 du dossier (pièce H Evaluation socio-économique, paragraphe 1.2 Trafic attendu). Première surprise : le paragraphe en question ne fait que 4 lignes et comporte juste un graphique pour donner les estimations de trafic à l’heure de pointe du matin. On est loin d’une démarche qui consisterait à analyser les besoins de déplacements des populations concernées et qui proposerait une (ou des) solution(s) pour satisfaire ces besoins… Manifestement, on a choisi une solution et… voilà ! Deuxième surprise : quand on analyse le graphique, on réalise il n’y aura un trafic nécessitant un tram qu’entre la gare de Noisy-le-Sec et la place Carnot à Romainville ! Au niveau de Montreuil, de l’A3 à Val-de-Fontenay, on prévoit systématiquement moins de 1000 voyageurs à l’heure de pointe dans chaque sens (en gros, on est entre 500 et 800 voy/h). Avec une fréquence de 4 minutes, ça veut dire qu’il n’y aura que quelques dizaines de personnes en heure de pointe dans des rames qui ont une capacité de 200 voyageurs (on n’ose pas imaginer ce que ça doit donner en heures creuses, pour lesquelles on nous promet quand même une fréquence de 6 minutes…). Est-il bien justifié de construire un tram lourd pour ça ? N’aurait-il pas été suffisant de se contenter de prolonger le T1 existant jusqu’à Romainville, sans devoir réaménager toutes les stations entre Bobigny et Noisy-RER ?
Les questions ne sont pas posées donc les réponses ne sont pas fournies…
Parmi les autres « poissons » que la masse du dossier a tendance à noyer, le problème de la rentabilité du projet. Là aussi, le dossier est particulièrement succinct. On nous donne l’information en page 625 de la pièce H :
Les indicateurs socio-économiques sont les suivants :
- Le taux de rentabilité immédiate du projet est de 8,4 % ;
- La valeur actualisée nette en 2011 est de l’ordre de 32 millions d’euros.
Outre le fait que l’autorité environnementale demande de mieux prendre en compte la totalité des dépenses de tous les maitres d’ouvrages impliqués par le projet (apparemment, ce n’est pas le cas avec les chiffres du dossier qui doivent être largement minorés…) je suis un tout petit peu gêné par le fait que le principal poste de gains qu’on met en face du coût du projet, c’est… le gain de temps des utilisateurs. Or, autant les millions d’euros des dépenses sont des millions sonnants et trébuchants, autant les millions d’euros de gains sont purement virtuels ! On calcule brillamment que 50.000 voyageurs vont « économiser » 5 minutes de temps de trajet tous les jours, ce qui représente au global un million et demi d’heures par an et on considère que ces heures économisées valent 18 €, ce qui valorise les gains à une trentaine de millions. Des millions que personne ne va toucher…
En plus, on rajoute des gains liés au report modal ! Ça c’est plutôt gonflé… Non seulement il n’y aura pratiquement pas de report modal mais le projet consiste à mettre des obstacles à l’écoulement du flux automobile sur au moins deux des axes majeurs du secteur. Il y aura donc forcément des coûts supplémentaires pour la collectivité et non des gains. Si des dizaines de milliers d’automobilistes perdent une dizaine de minutes de temps de parcours tous les jours, en valorisant ce temps à 18 €, ce sont des dizaines de millions de coût additionnel qu’il faudrait prendre en compte si on voulait faire un bilan objectif…
En résumé, la lecture un peu fastidieuse de cet épais dossier d’enquête est bien décevante. Non seulement le projet de tram ne semble pas justifié sur l’ensemble du parcours mais, en tout état de cause, il n’est probablement pas rentable du tout. Est-ce bien raisonnable de dépenser plus de 500 millions pour ça ???
Pour finir, quelques autres petites informations que j'ai notées au passage :
- Les co-maîtres d’ouvrage n’ont pas effectué d’inventaires naturalistes pour vérifier s’il n’y aurait pas, par exemple dans les abords végétalisés de l’actuelle A186, des espèces protégées. On s’apprête à bouleverser une petite dizaine d’hectares d’espaces verdoyants sans regarder ce qui vit dedans, mais c’est pour une bonne cause…
- En ce qui concerne le stationnement, sur 954 places officielles identifiées le long du parcours, le projet prévoir d’en supprimer 445. Même là où il y aurait de la place pour en créer, on évite soigneusement de le faire… Le dossier précise :
Cette évolution s’inscrit parfaitement dans les orientations du Plan de Déplacements Urbains. La réorganisation du stationnement répond en effet à un enjeu fort consistant à inciter les usagers au report vers les modes alternatifs à la voiture, permettant ainsi de maitriser les trafics
- Contrairement à ce qui est écrit tout le long du dossier, la voie qu'on appelle couramment "A186" n'est probablement pas une vraie autoroute. C'est un tout petit détail du dossier qui m'a mis la puce à l'oreille : au paragraphe 3.5.3, page 162 de la pièce C, il est écrit :
Le Département de Seine-Saint-Denis, propriétaire actuel de l'autoroute A186, a mis en place un groupe de travail permettant d'étudier la mutation future des emprises libérées par la démolition de l'A186
Si le département est propriétaire de l'infrastructure, c'est sans doute qu'elle n'a jamais été classée autoroute. Quand sa construction a été déclarée d'utilité publique en 1965, c'était en tant que "Voie de desserte du Grand Ensemble de Fontenay", une voie départementale dont le gros des travaux a été financé par le District de Paris (ancêtre de la région IDF). Ultérieurement elle est devenue B86, puis A186, mais le formalisme du classement autoroutier a peut-être été oublié (ce ne serait pas le seul cas en région parisienne).