Article de la Voix du Nord
Autoroutes: des péages partout?
«PÉAGISATION»: le mot est lâché. Son inventeur s'appelle Bruno Bonduelle, l'actuel président de la Chambre régionale de commerce et d'industrie (CRCI). L'homme ne craint pas de jouer les provocateurs et les agitateurs d'idées. Cette fois, ce n'est pas avec un livre qu'il vient secouer le cocotier mais dans un texte adopté par la CRCI. Au détour d'un paragraphe, la très sérieuse chambre régionale « recommande la péagisation de l'ensemble du réseau autoroutier de la région à l'exclusion de la rocade minière».
En cette période de pouvoir d'achat rogné, de flambée du prix des carburants, la suggestion suscite une levée de boucliers chez les professionnels de la route et les automobilistes (lire ci-dessous). Mais il en faudrait davantage pour empêcher Bruno Bonduelle de plaider son dossier.
- Une situation hybride. - Les automobilistes du Nord - Pas-de-Calais connaissent-ils leur bonheur? À l'inverse d'autres régions, ils roulent dans un secteur où cohabitent des autoroutes à péage et d'autres sections gratuites. On circule sans payer de Lille vers Dunkerque, Arras ou encore Valenciennes comme entre Dunkerque et Boulogne, Douai et Lens...Pour Bruno Bonduelle, cette situation a des effets pervers. «Cela crée des détournements de trafic, pour éviter de payer sur l'A26 (Calais - Arras) certains empruntent l'A25 (Dunkerque - Lille) déjà saturée, il y a une distorsion de concurrence.»
- Des autoroutes saturées et à rénover. - Second temps de la démonstration, l'actuel réseau gratuit a besoin d'une urgente rénovation. C'est vrai de l'A25 où l'on a réduit la vitesse de 130 à 110km/h en raison d'une chaussée aux allures de tôle ondulée. Le chantier est entamé mais il prendra du temps. Quant à l'élargissement à deux fois trois voies entre Englos et Nieppe, il ne démarre pas faute de financements.
Autre cas: l'A23 (Lille - Valenciennes) au bord de la saturation entre Orchies et Lille. L'élargissement serait souhaitable sur un axe payé à l'origine par le conseil général mais là aussi, les budgets font défaut. Troisième exemple l'A22 (Lille - Gand). Techniquement, l'élargissement est possible jusqu'à la frontière belge mais là encore, les contraintes budgétaires ne le permettent pas.
Pour Bruno Bonduelle, l'actuel statu quo va conduire à l'asphyxie: «Les encombrements de la métropole lilloise pénalisent son développement économique.» À l'entendre, le choix n'existe pas vraiment, ce sera rouler en payant ou bouchonner gratuitement.
Seule solution: le péage pour dégager des ressources et financer les travaux.
- Des péages urbains. - Bruno Bonduelle enfonce le clou en plaidant pour des péages y compris dans les zones urbaines. Il cite l'exemple de Londres, du tunnel sous le Vieux Port à Marseille, bientôt de Stockholm. Et il a dans le collimateur ces convois de poids lourds, parfois chargés de matières dangereuses, en transit du nord au sud de l'Europe, qui empruntent le périphérique lillois en boudant l'itinéraire de contournement par Courtrai et Tournai. «Dans les pays les plus libéraux, les péages sont d'autant plus élevés qu'ils sont situés en zone urbaine », insiste le responsable économique partisan de faire payer l'utilisateur des voies rapides plutôt que l'ensemble des contribuables.
- Des mesures incitatives. - Pour rendre la pilule des factures moins amère, Bruno Bonduelle préconise des prix modulés. Un tarif « heures creuses » par exemple pour inciter les poids lourds à éviter les périodes de pointe. Autre idée: la gratuité pour les adeptes du covoiturage. «En Californie, les toll-ways sont gratuits pour les voitures qui font le plein de quatre passagers, pourquoi ne pas importer le dispositif ici», plaide le président de la CRCI.
- Le cas d'école de l'A24. - La future autoroute A24 (Amiens - Lille - Belgique) fournit un argument supplémentaire au partisan d'une généralisation des péages. «Ni l'État ni la Région ne mettront un centime pour financer l'A24, comment imaginer qu'elle puisse être payante depuis la frontière tandis qu'un autre itinéraire à partir de Baisieux ou Reckem serait gratuit jusqu'à hauteur d'Arras par l'A1?», s'étonne Bruno Bonduelle..
Au passage, le président de la CRCI veut «tordre le cou» aux partisans d'un tracé de l'A24 qui s'éloignerait de la métropole lilloise pour passer par les Flandres (Merville et Steenvoorde). «Les automobilistes de la métropole ne feront jamais un tel détour, comme il y aura très peu de passage, donc très peu de péage, le concessionnaire récusera ce tracé», prédit Bruno Bonduelle, partisan d'un passage à l'est d'Armentières.