Le Monde a écrit:Succès exemplaire, le viaduc de Millau fête ses 10 ansLE MONDE ECONOMIE | 15.12.2014 | Par Isabelle Rey-Lefebvre
Le viaduc de Millau est devenu un véritable monument, visité chaque année par des millions de touristes.
Il y a dix ans, le 16 décembre 2004, le viaduc de Millau ouvrait à la circulation. Deux jours plus tôt, le président de la République Jacques Chirac inaugurait cet élégant pont haubané, dessiné par l’architecte britannique Norman Foster et conçu par l’ingénieur spécialiste mondial de ce type d’ouvrages, Michel Virlogeux. Un trait de 2,4 km de long, enjambant, à 270 mètres de hauteur, la profonde vallée du Tarn. La photo du viaduc flottant au-dessus des nuages a fait le tour du monde, l’élevant au rang de monument visité, depuis dix ans, par des millions de touristes.
L’ouvrage n’a pas seulement pulvérisé des records techniques et supprimé un fameux bouchon sur la route des vacances, il a aussi inauguré un montage juridique et financier original. C’était la première fois que le financement, la construction puis l’exploitation et l’entretien d’un tel équipement étaient confiés, pour soixante-dix-huit ans, à un groupe de travaux publics privé qui se rémunérerait par le péage. L’Etat récupérera donc la jouissance de l’ouvrage en 2079, bien que le concessionnaire conserve l’obligation d’entretien jusqu’à ses 120 ans.
Paradoxe : c’est un communiste, Jean-Claude Gayssot, ministre des transports de Lionel Jospin, qui avait choisi, en 1998, après sept ans d’atermoiements, de recourir ainsi au privé. L’union sacrée politique s’était même réalisée puisque Jacques Godfrain, maire RPR de Millau, défendait le projet face aux opposants du cru, d’ailleurs rares, ce qui étonne sur ces terres proches du Larzac, volontiers rebelles. L’association Agir pour l’environnement critiquait alors « ce projet pharaonique (…) qui défigure la vallée (…) accumule les nuisances, détruit le paysage, menace l’environnement pour un coût prohibitif et contribue à la désertification du territoire (…), faisant perdre à Millau une part importante de son activité touristique » ! C’est l’inverse qui s’est produit, même sur le plan de la faune, intouchée, comme l’atteste un bilan dressé en 2010 par l’Etat.
« Effacer les traces du chantier »
« Norman Foster avait l’obsession d’intégrer l’ouvrage au paysage, comme s’il avait toujours été là, et d’effacer les traces du chantier, raconte Emmanuel Cachot, actuel directeur de la Compagnie du viaduc de Millau, et nous avons même demandé aux paysans de cultiver au plus près des piles ».
C’est la société Eiffage qui, en 2001, remporte l’appel d’offres au nez et à la barbe de Bouygues, roi du BTP, pourtant allié à la Caisse des dépôts, bras financier de l’Etat. Eiffage finance les travaux, sur ses fonds propres, de 400 millions d’euros, dont 80 pour la barrière de péage, menant ce chantier de trente-huit mois tambour battant, sans accident grave, et se payant même le luxe de l’achever avec un mois d’avance. La solution technique retenue, un tablier métallique plutôt que tout béton, allège la structure et permet de gagner du temps.
À partir de 2010, la fréquentation s’est stabilisée à 13 000 véhicules par jour, soit 4,8 millions par an
Le succès est immédiat et le trafic, d’en moyenne 12 000 véhicules par jour, est d’emblée supérieur de 15 % à 18 % aux prévisions, obligeant à allonger la barrière de péage. Fort de cette réussite, Eiffage revend, dès 2006, 49 % de la société d’exploitation du viaduc à la Caisse des dépôts, empochant une jolie plus-value de 186 millions d’euros qui double quasiment la valeur initiale de la concession : les 51 % d’Eiffage sont toujours inscrits, dans ses comptes 2013, à hauteur de 357 millions d’euros.
À partir de 2010, la fréquentation s’est stabilisée à 13 000 véhicules par jour, soit 4,8 millions par an, déjouant, cette fois, les prévisions un peu optimistes d’une croissance de 3 % l’an, et la compagnie reste discrète sur la rentabilité réelle de l’investissement initial : « Ce n’est qu’en fin de concession que l’on pourra la mesurer », assure Emmanuel Cachot. Le chiffre d’affaires, lui, est en hausse, grâce aux augmentations des tarifs de péage de plus de 40 % en dix ans, le viaduc bénéficiant de son statut de seule portion payante de l'autoroute A75.
L’année 2013 s’était conclue sur un chiffre d’affaires de 38,2 millions d’euros de recette (contre 25 millions d’euros, en 2005) et 15,4 millions d’euros de bénéfice, que se partagent les deux actionnaires.
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