https://www.rue89lyon.fr/2021/09/15/a46 ... if-climat/A46 Sud à Lyon : un projet « à contresens de l’objectif climat »
Le 28 septembre, la concertation sur le projet de passage en 2 x 3 voies de l’A46 Sud prendra fin à Lyon. Dans ce cadre, nous donnons la parole à Clément Machon et Benoît Kieffer, deux « shifters », soit des bénévoles qui diffusent les idées de « The Shift project », un think-tank militant pour une économie libérée de « la contrainte carbone ». Pour ces derniers, l’étude d’impact du projet comporte des erreurs.
Dans le cadre du projet d’élargissement de l’A46 Sud en 2×3 voies, à Lyon, une concertation publique a lieu afin de recueillir les avis et critiques de chacun. Comme dans tout projet d’envergure, une étude d’impact carbone fait partie des informations apportées pour alimenter le débat. Elle conclut à une réduction de 65.000 tonnes par an des rejets de CO2 grâce à cet élargissement. Cette étude d’impact est pourtant truffée d’hypothèses discutables.
Tout d’abord, la quantité de CO2 que le projet est censé faire économiser est très surprenante. Pour atteindre une réduction de 65 000 T de CO2 par an, le porteur de projet mise sur une fluidification de la circulation qui permettrait aux véhicules de rouler à une vitesse plus adaptée (moins émissive). Vinci considère ainsi que, élargissement ou pas, le même nombre de véhicules circuleront dans le corridor.
Comment peut-on tenir un tel raisonnement malgré 50 ans de travaux scientifiques sur l’induction de trafic ? En effet, les différents retours d’expérience prouvent qu’élargir une route, ou la dédoubler, ne suffit pas à faire disparaître les bouchons.
A46 Sud : « Plus il y a de voies, plus il y a de voiture »
Au contraire, cela conduit systématiquement à l’augmentation du trafic sur le tronçon. Cela vient du report de circulation environnante vers les nouvelles voies et de l’encouragement à rouler plus, jusqu’à revenir aux encombrements initiaux.
Tout personne ayant vécu à Lyon ces dernières années aura pu constater de visu que plus il y a de pistes cyclables qui facilitent la circulation à vélo, plus il y a d’usagers du vélo. C’est exactement le même mécanisme qui est à l’œuvre lorsqu’on élargit des autoroutes embouteillées : plus il y a de voies, plus il y a de voitures.
Par exemple, en 2016, l’A9 était doublée par l’A709 à Montpellier, passant de 2×3 voies à 2×6 voies, avec la promesse de supprimer les bouchons. Pas plus tard que la semaine dernière, Midi Libre publiait un appel à témoignage “vous subissez les bouchons quotidiens sur l’A709? Venez témoigner”. La situation sur le terrain est ainsi très éloignée des promesses, surtout quand ces dernières ont négligé l’induction de trafic.
L’élargissement de l’A46 va donc entraîner une hausse du trafic, sans réduire son niveau de congestion, ce qui conduira à une augmentation des émissions de CO2.
« La légèreté avec laquelle le sujet CO2 est traité par Vinci contraste avec la situation qui est la nôtre aujourd’hui »
De plus, il convient de chiffrer l’impact sur le trafic à une échelle plus globale, c’est-à-dire sur l’ensemble du réseau routier environnant, et non pas uniquement sur le tronçon concerné par l’élargissement. En effet, le projet A46 manque de vision systémique. Qui, dans les utilisateurs de l’A46, ne l’emprunte que pour aller de son entrée à sa sortie ?
Tout changement sur cette portion d’un trajet effectué a inévitablement une conséquence sur le reste du trajet puis sur les autres trajets. Il n’est plus possible de continuer naïvement à élargir les autoroutes en ignorant les conséquences de nos investissements sur le fonctionnement global des transports et de la société.
La légèreté avec laquelle le sujet CO2 est traité par Vinci contraste avec la situation qui est la nôtre aujourd’hui. Les émissions de CO2 doivent être réduites dès maintenant, comme les Etats, dont la France, s’y sont engagés lors de la COP21. Pour rappel, les Etats se sont engagés à garder le réchauffement climatique sous les 1,5°C, du fait des conséquences catastrophiques qu’auront chaque demi-degré supplémentaire de réchauffement.
L’atteinte de cet objectif nécessite des changements systémiques profonds. La société appelle à une relocalisation de ses industries et de ses ressources pour transporter moins loin nos biens, notre nourriture et nos services. Ainsi il est plus que dommage de mettre 250 millions d’euros dans un projet qui n’aide en rien à changer le paradigme actuel.
Miser sur l’électrique n’est pas suffisant, pour The Shift project
Mais surtout, le monde des transports échoue année après année à réduire ses émissions. L’électrification est trop lente (voire au point mort pour les camions), les maigres gains d’efficacité sur les moteurs thermiques sont réinvestis dans des consommations supplémentaires (climatiseurs, voitures plus puissantes, plus lourdes, plus confortables pour parcourir plus de kilomètres, etc.). Dans ce contexte, un projet qui aura comme conséquence à court terme d’augmenter le trafic est à contresens de l’objectif climat.
L’objectif numéro 1 en matière de transports doit être la réduction du trafic routier, pas son hypothétique fluidification.
The Shift project, qu’est-ce que c’est ?
Géré au quotidien par une équipe d’une dizaine de salariés, « The Shift project » (le projet du changement) est un laboratoire d’idées (« think-tank ») qui lutte contre le réchauffement climatique. Il compte également de nombreux bénévoles, les « shifters », dont font partis les auteurs de cette tribune. Dirigé par l’ingénieur et conférencier Jean-Marc Jancovici, ce groupe propose des contributions sur différents sujets. Il est financé par un système de mécénat. En 2017 et 2018, plusieurs entreprises ont participé à son financement dont la SNCF, les carrières Vicat, mais aussi Vinci, Keolis, Enedis, etc.
Fin de concertation le 28 septembre
Dans le glossaire de la Commission nationale du débat public (CNDP), il est précisé qu’une concertation doit recueillir « l’ensemble des avis des parties prenantes sur un projet ». Cependant, l’autorité, qui a saisi l’instance, « reste libre de sa décision mais s’engage néanmoins généralement à la justifier et à l’expliciter au regard du résultat de la concertation. » Dans le cas présent, la CNDP a été saisie par ASF (Autoroutes Sud de France), dont le groupe Vinci est concessionnaire. Une démarche permettant d’aller bien plus vite que celle dite du « débat public ». Pouvant durer de quatre à six mois, le « débat public » implique une mobilisation des citoyens via, notamment, des réunions publiques. Débutée le 30 juin, elle doit prendre fin le 28 septembre. Malgré la période estivale, pas toujours propice aux échanges, elle a donné lieu à des remous. Une réunion a même été annulée à la suite d’une manifestation d’opposants.