Simple coïncidence ou véritable corrélation? Début août, l’effondrement du viaduc de Gênes braque les projecteurs sur l’état du réseau routier en France. Une semaine plus tard, nous nous procurons le rapport préalable à l’ouverture de l’A304 de l’Inspecteur général des routes. Ce spécialiste des infrastructures routière a émis un avis « favorable » à l’ouverture de l’autoroute, « sous réserve que les recommandations faites soient respectées ». Toutes ne l’ont pas été.
1 - Un mur hors normesEn première ligne du rapport, le mur installé sur plus d’un kilomètre à hauteur d’Haudrecy. La préfecture avait communiqué dans un mail daté du 2 août sur une éventuelle « inefficacité » du dispositif sonore, précisant que celui-ci serait sous contrôle permanent les mois suivants. Aucune mention d’un quelconque danger ou d’un caractère illicite. Voici pourtant ce que dit le rapport, rendu dans sa version définitive le même jour : « L’ouvrage est hors norme et en cas de choc, il y a risque d’éclatement de la paroi du mur avec projection sur la chaussée ». Les montants espacés de quatre mètres, des poteaux métalliques, peuvent se transformer en « râpe à fromage » en cas d’impact à grande vitesse, selon les mots d’une source proche du dossier.
2 - Impossible de se réfugier derrière la glissière de sécuritéLe mur est long de 1500 mètres, au long desquels il n’y a pas d’espace entre le mur et la glissière de sécurité: celle-ci ne joue plus son rôle. « L’usager en panne ne peut donc se mettre en sécurité » affirme le rapport. Inquiétant lorsque l’on se souvient que sur l’A4 le 16 août dernier un poids lourd est entré en collision avec un bus d’enfants arrêté sur la bande d’arrêt d’urgence. Il n’y a eu« que » neuf blessés, mais les occupants du bus ont pu se réfugier derrière un grillage. On ignore les conséquences qu’aurait un même accident sur le secteur d’Haudrecy. Le risque est d’ailleurs encore plus prégnant pour les agents d’exploitation de la route, fréquemment au travail sur le bord des routes. Interrogée sur ce point, la Dreal martèle : « Il faut comparer l’A304 avec les autres autoroutes de France. Ici il y a une bande d’arrêt d’urgence au moins... »
3 - Une bande d’arrêt d’urgence réduiteLa largeur de la bande d’arrêt d’urgence le long du mur est réduite à 2m50 en raison du système d’évacuation hydraulique choisi (un caniveau à fente) alors qu’un dispositif alternatif avait été recommandé par l’inspection auparavant. Les véhicules transportant des marchandises peuvent avoir une largeur de 2m55, voire 2m65 si on compte les rétroviseurs. Mathématiquement, ces poids lourds devront empiéter sur la voie de circulation s’ils doivent se garer sur la bande d’arrêt d’urgence. Comment expliquer cette situation ? Selon la Dreal, « il a fallu adopter des mesures pour pallier au mauvais terrain de ce secteur ».
4 - Une visibilité réduiteLa qualité des sols pose en effet problème. En raison des mouvements de sol constatés cette année, et confirmés en juillet dernier par la préfecture, le maître d’oeuvre a fait le choix d’un profil d’autoroute montagneux. Or cela se traduit par une visibilité dégradée pour l’automobiliste. Ainsi, pendant un kilomètre entier, soit 28 secondes de parcours à 130 km/h, l’automobiliste manque de visibilité. Et l’IGR de confirmer : « les pertes de visibilité ne sont pas ponctuelles (...) Le niveau de service offert n’est pas conforme au 130 km/h. » À la question de savoir s’il était prévu à terme de repasser à une limite de 130 km/h, le préfet a répondu par l’affirmative « quand le problème du mur sera réglé » (avant de savoir que nous avions en notre possession le rapport de l’IGR).
5 - Une voie rapide étriquéeLes dangers liés à ce manque de visibilité sont « accentués » par une voie rapide (voie de gauche)anormalement étriquée. La taille de la bande de dérasage de gauche - c’est-à-dire l’espace qui sépare la voie rapide du bloc de séparation - a été réduite à 75 centimètres. Or la taille minimale pour garantir la sécurité des usagers est d’un mètre.
6 - Des préconisations ignoréesL’IGR préconise une solution immédiate pour le secteur d’Haudrecy. Il demande, explicitement et en gras, à ce que la zone soit limitée à 90 km/h dans le sens Reims-Rocroi pour l’ensemble des véhicules. Et il conclut son rapport en précisant que son avis favorable à l’ouverture de l’autoroute est conditionnée au respect de ces recommandations. Aujourd’hui, des panneaux à 110 km/h parsèment le kilomètre et demi d’un mur hors-normes et d’un secteur autoroutier à risques. Le préfet des Ardennes, qui a signé l’arrêté de mise en service de l’autoroute, renvoie vers la Dreal : « Moi, je ne fais que suivre ce que la Dreal me dit ». Interrogé sur ce choix de ne pas respecter les recommandations, le représentant de la Dreal Guy Treffot assume : « Nous avons été au-delà de la préconisation pour les poids lourds avec une limite à 80 km/h » Quant aux autres véhicules, le choix est clairement fait d’ignorer le rapport. « Les préconisations de l’Inspection générale des routes ont été pesées, sous-pesées par nos équipes, et nous avons effectivement décidé que la limite à 110 km/h suffisait ».
L’A304 a été ouverte avant le rapport définitifLe 26 juillet, la préfecture des Ardennes explique dans un communiqué de presse que l’arrêté de mise en service ne pourra être signé qu’« à l’issue » de la remise du « rapport définitif établi par l’Inspecteur général des routes ». Le 27juillet, l’inspecteur et son équipe procèdent à l’inspection finale. Le 30 juillet, l’arrêté de mise en service de l’A304 est signé. Le jour même de la publication (confidentielle) de la première version du rapport de l’IGR. Ce n’est que trois jours après, le 2 août, que le rapport définitif établi par l’Inspecteur général des routes paraît. D’après Pascal Joly, il n’y a rien d’anormal à cela : « La Dreal m’avait donné les éléments nécessaires pour prendre cet arrêté. »
Une glissière de protection inefficace et dangereuseDans le sens Rocroi-Reims, cette glissière est décrite comme inefficace et dangereuse pour les usagers de l’A304 dans sa configuration actuelle.
Quelque part entre Le Piquet et Wartigny, un dispositif de retenue est désigné par le rapport comme inutile et dangereux. Celui-ci a été mis en place, selon le maître d’ouvrage, pour protéger des zones environnementales sensibles répertoriées et conformément aux engagements de l’État. Sauf que, d’après les spécialistes, les barrières de sécurité ne remplissent pas leur mission. Elles ne sont pas suffisantes pour « empêcher le basculement des poids lourds » en cas d’accident et donc « ne protégeront pas les zones environnementales sensibles ». En plus d’être inutiles, ces dispositifs seraient dangereux pour les usagers, car ils constituent des « obstacles supplémentaires » contre lesquels les automobilistes peuvent se heurter. Et l’inspection générale des routes de conclure: soit on équipe « les bords de plate-forme de véritables dispositifs contre le basculement des poids lourds », soit on les enlève. « On va mener une réflexion pour y remédier », assure Guy Treffot, représentant de la maîtrise d’ouvrage à la Dreal.