Rouen. Un pont levant qui ne se lève (presque) jamais : l'ouvrage Flaubert, une hérésie financière ?
À Rouen, le temps peut paraître aussi long entre deux passages de bateaux sous le pont Flaubert que sa connexion avec la Sud III se fait attendre. Un gâchis d'argent public ?
Des travaux seront menés, du 8 au 18 octobre, sur l'A150, en direction de Barentin (Seine-Maritime).
En moyenne, les tabliers du pont Flaubert ne sont levés que deux à quatre fois par an pour laisser passer un à deux navires, alors qu’à sa construction, on prévoyait le passage d’une quarantaine de bateaux chaque année.
C’est un ouvrage emblématique de Rouen (Seine-Maritime). Avec ses deux piles culminant à 86 mètres, le pont Flaubert est le troisième édifice le plus haut de la capitale normande, derrière la flèche de la cathédrale Notre-Dame (151 mètres) et la tour des Archives (89 mètres, 104 en comptant l’antenne). Ce qui en faisait le plus haut pont levant du monde à son inauguration, en 2008.
Véritable bijou d’ingénierie, ses 32 moteurs actionnent des treuils qui tirent sur des câbles pour soulever les deux tabliers de 120 mètres de long et 1 300 tonnes chacun, les amenant de 7 à 55 mètres de hauteur en une dizaine de minutes (soit une vitesse de 4,2 mètres par minute).
Ce système permet ainsi le passage de bateaux de grande envergure, tels des voiliers ou des navires de croisière. À la construction du pont Flaubert, on tablait sur une quarantaine de franchissements par an, rapporte Paris-Normandie, dans un article de septembre 2018 pour les dix ans de l’édifice.
Force est de constater qu’on est aujourd’hui très loin du compte. Les mauvaises langues diront que le pont ne se lève que pour les voiliers de l’Armada (six levées lors de la dernière édition, en 2019). Les chiffres que nous a communiqués la préfecture de la Seine-Maritime font, eux, état de « 2 à 4 levées […], correspondant à des passages allers/retours de 1 à 2 navires » par an. En outre, « chacun des deux tabliers est distinctement levé au total 4 fois par an », pour des opérations de maintenance. Soit un total de 10 à 12 levées annuelles.
EN IMAGES. Le trois-mâts Le Français est arrivé à Rouen, il passera sous le pont Flaubert cette nuit
Chacune de ces opérations fait le bonheur des promeneurs et des photographes. A fortiori quand il s’agit du passage d’un fameux trois-mâts comme Le Français, en escale dans le port de Rouen du 31 décembre 2021 au 4 février 2022. Mais quid des paquebots qui ont longtemps jeté l’ancre à l’aplomb du pont Guillaume-le-Conquérant ? Avant la pandémie une trentaine faisait escale chaque année dans la capitale normande. 14 sont attendus en 2022, selon Haropa Port. A priori, aucun ne s’approchera aussi près du centre-ville.
La frilosité des croisiéristes
C’est tout le paradoxe du pont Flaubert : conçu pour laisser passer ces géants des mers, son ingénieux mécanisme n’a pas convaincu les croisiéristes. Bien au contraire. Après la livraison de l’ouvrage, le Port de Rouen a maintenu le terminal provisoire aménagé en aval du pont, sur la presqu’île Saint-Gervais.
« L’État avait précisé la procédure pour obtenir une montée/descente du pont (à savoir un délai de préavis et de ne pas le faire pendant les heures de pointe de circulation le matin et le soir). Le port de Rouen a jugé que ces contraintes étaient pénalisantes pour l’activité croisière », explique Haropa Port.
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L’établissement public ajoute avoir également fondé sa décision sur l’avis des pilotes de Seine, « assez mitigés sur le passage de navires de croisière entre les piles du pont, du fait de la courbure [du fleuve] à cet endroit ». Tout cela « a convaincu le port de ne pas revenir à l’ancien terminal de croisière (devant le chantier du futur hangar 105) ».
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Aujourd’hui vice-président de l’Armada chargé de la communication, Philippe Chastres était le directeur de cabinet d’Yvon Robert quand l’ancien maire socialiste de Rouen (1995-2001 et 2012-2020) a obtenu le vote à l’unanimité de sa majorité municipale en faveur d’un pont levant, à la fin des années 1990. Il pointe une volte-face des croisiéristes :
Au moment du choix, les croisiéristes n’ont jamais dit qu’un pont levant les gênaient. C'est une fois que la décision a été prise qu’ils ont commencé à gamberger et qu’ils sont revenus voir le maire pour demander un nouveau terminal.
Philippe Chastres
Ancien directeur de cabinet du maire de Rouen Yvon Robert
« Ils avaient fantasmé une grève des dockers qui auraient empêché la levée du pont. Mais sur le fond, c’est aussi une question financière », ajoute Philippe Chastres. Chaque passage aller ou retour de nuit est ainsi facturé près de 15 000 euros.
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À Bordeaux (Gironde), le tablier du pont Chaban-Delmas en position levée. (©Le Républicain Sud-Gironde)
Le petit frère bordelais
Ouvert à la circulation en mars 2013, le pont Jacques-Chaban-Delmas, à Bordeaux (Gironde), est en quelque sorte le petit frère du pont Flaubert. En effet, l'ingénieur qui l'a conçu, Michel Virlogeux, a aussi travaillé sur l'ouvrage rouennais et auparavant sur le pont de Normandie.
Les dimensions de son tablier (117 mètres) et de ses pylônes (77 mètres) sont légèrement inférieures à celles du pont Flaubert. Autre différence : ses quatre piles encadrent un tablier unique. Celui-ci peut se soulever de 55 mètres au-dessus de la Garonne, à la même hauteur que les tabliers du pont Flaubert au-dessus de la Seine.
Le coût de l'ouvrage girondin (150 millions d'euros) est relativement proche de celui de son grand frère normand tandis que la valeur de son contrat de maintenance est bien plus élevée : 1,161 million d'euros. En revanche, le coût d'une levée est bien moins onéreux qu'à Rouen : 3 000 € pour une manœuvre en semaine et de jour, 6 000 € pour une manœuvre de nuit et/ou de week-end/jours fériés.
Surtout, le pont Chaban-Delmas voit passer des bateaux beaucoup plus souvent : 28 navires en 2021 dont près de la moitié sont des paquebots, selon des chiffres transmis par Bordeaux Métropole. En 2017 et 2019, plus de 70 bateaux sont passés sous son tablier.
Car contrairement à ce qui est arrivé à Rouen, le terminal de croisière est resté en amont du pont. "La réalisation du pont levant de Bordeaux ne devait pas modifier le régime des escales dans le port de la Lune, ce qui est le cas", fait savoir Bordeaux Métropole.
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Un système de levage à 43,5 millions d’euros
Défaut d’anticipation des pouvoirs publics ou inconstance des croisiéristes, reste la facture du chantier qui s’élève à 155 millions d’euros dont 43,5 millions d’euros pour le seul système de levage (génie civil, mécanismes, équipements de sécurité, tour de contrôle). Un montant partagé entre l’État (27 %), le Département (35 %) alors présidé par Charles Revet (RPR), « le reste étant réparti entre la région Haute-Normandie dirigée par la gauche et la communauté de l’agglomération rouennaise que préside Laurent Fabius », écrivait France Soir, en 2011. Facture à laquelle s’ajoute un coût de maintenance de 700 000 euros annuels, en moyenne.
Pour autant, Yvon Robert n’exprime « pas de regret ». « Il y avait besoin d’un franchissement supplémentaire pour dévier la circulation automobile et des camions qui encombrait les quais rives droite et gauche », resitue l’ex-édile. Mais la décision s’est fait attendre, faute de consensus entre les décideurs. « Quand je suis devenu directeur de cabinet du maire en 1995, ça faisait bien 10 ans qu’on parlait du sixième franchissement », se souvient Philippe Chastres.
Pont levant vs. tunnel
Dans un premier temps, deux options se sont affrontées : un pont fixe ou un tunnel. Toutefois, le succès de la première puis de la deuxième édition de l’Armada, en 1989 et 1994, a changé la donne. « Un pont fixe, c’était la mort de l’Armada », tranche Philippe Chastres.
Défendu par l’opposition municipale de droite, « un tunnel aurait coûté plus cher qu’un pont dans tous les cas », assure Yvon Robert. Sans parler du traumatisme causé en 1999 par l’incendie du tunnel du Mont-Blanc, conséquence d’un accident de camion. Le maire de Rouen a donc « proposé avec Laurent Fabius un pont levant, pour permettre le passage des paquebots et maintenir l’Armada ». Une solution qui avait aussi les faveurs des ingénieurs, assure Philippe Chastres. Pour un surcoût « relatif », juge Yvon Robert, de l’ordre de « 25 % » comparé à un pont fixe.
Vingt ans plus tard, « le pont est devenu un emblème de Rouen, une porte d’entrée sur la ville, c’est quand même plus agréable à franchir qu’un tunnel de plusieurs kilomètres », défend l’ancien maire de Rouen. Rien qu’en 2020, année marquée par deux confinements, le pont Flaubert a absorbé, selon la préfecture, en moyenne, 44 000 véhicules par jour dont 11% de poids-lourds, contribuant ainsi à désengorger les axes et les ponts du centre-ville.
« Une barrière entre le port et la ville »
Autre son de cloche chez Paul Astolfi. Conseiller municipal d’opposition sous le premier mandat d’Yvon Robert, l’ex-adjoint à la culture de Jean Lecanuet déplore, derrière « le totem de la modernité », « une solution minimaliste » dans la façon de penser l’aménagement des quartiers ouest de Rouen, le port et la connexion entre les deux rives de la Seine.
Paul Astolfi regrette qu’ « au lieu de tisser un lien entre la ville et le port, le pont ait mis une barrière entre les deux ». À l’image du terminal de croisière qui, à son ancien emplacement, permettait aux voyageurs d’apercevoir la cathédrale mais donne aujourd’hui sur des silos à grains. « C’est un truc un peu honteux, pas tenable pour une gare maritime qui veut se positionner sur les croisières haut-de-gamme. »
La connexion avec la Sud III se fait attendre
L’ancien conseiller municipal d’opposition déplore également qu’ « en l’absence de concertation entre les collectivités locales (la Ville, l’Agglomération, le Département et la Région, Ndlr) pour dire à l’État, ‘voilà ce que nous voulons’, l’État n’ait fait que la moitié du chemin, en ne prévoyant pas la connexion des autoroutes ».
En effet, la liaison directe entre l’A150 et l’A13 via la Sud III se fait toujours attendre, bientôt 14 ans après l’ouverture du pont Flaubert à la circulation. « D’une longueur de 1,1 km », le raccordement entre le pont et la RN338 sera « entièrement constitué d’ouvrages d’art complexes », indique la préfecture.
Toutefois, leur réalisation a dû attendre des aménagements de voirie du futur quartier Flaubert. Ce qui fait tiquer Paul Astolfi : « Comment vouliez-vous penser le raccordement avec la Sud III alors que vous ne saviez pas ce que vous alliez mettre en dessous ? Il aurait mieux valu d’abord construire le quartier Flaubert et le pont après. »
Du côté de la préfecture, on assure que les choses avancent : « Le principal marché de travaux de l’opération portant sur les ouvrages d’art et remblais techniques a été attribué fin 2021. La période de préparation va être lancée prochainement pour un démarrage des travaux à l’été 2022. » La mise en service de ce projet routier est prévue « à l’échéance fin 2025 ».
"En effet, la liaison directe entre l’A150 et l’A13 via la Sud III se fait toujours attendre, bientôt 14 ans après l’ouverture du pont Flaubert à la circulation"
"D’une longueur de 1,1 km », le raccordement entre le pont et la RN338 sera « entièrement constitué d’ouvrages d’art complexes », indique la préfecture."
Franchement, si c'est pas du foutage de gueule là....
1,1 kms, terrain plat....pas une seule trémie....
« Le principal marché de travaux de l’opération portant sur les ouvrages d’art et remblais techniques a été attribué fin 2021. La période de préparation va être lancée prochainement pour un démarrage des travaux à l’été 2022. » La mise en service de ce projet routier est prévue « à l’échéance fin 2025 "
4 ans pour 1.1 kms.... Franchement, il y a des gens incapables... à faire virer....