Pourquoi la déviation de Jonches a été enterrée
Publié le 14/09/2022 à 07h30
Pourquoi la déviation de Jonches a été enterrée
Des Leds clignotantes ont été installées en mai 2021. © Marion Boisjot
Le projet de suppression du passage à niveau de Jonches n’est plus d’actualité, quatre ans après un accident mortel qui avait frappé les esprits. À défaut, la SNCF a réalisé de nombreux aménagements sur cet axe encore considéré comme dangereux.
La suppression du passage à niveau de Jonches, sur la RN77 à la sortie d’Auxerre, nourrit les débats depuis de nombreuses années. Au fil du temps, l’aménagement ferroviaire s’est construit une mauvaise réputation : celle d’être l’un des passages à niveau les plus dangereux de France. Au point d’être concerné par un projet de suppression, suite à un accident mortel survenu en janvier 2018.
Mais aujourd’hui, le sujet n’est plus d’actualité. "La suppression du passage à niveau n’est plus à l’ordre du jour", indique la directrice de cabinet du préfet. Selon Marion Aoustin-Roth, seule une "nouvelle étude de l’accidentologie" ou encore une "volonté politique locale" pourraient remettre le dossier sur la table.
Dans celui-ci, la SNCF indique d’ailleurs avoir demandé que l’étude concernant la suppression "soit relancée", lors de la réunion du comité de pilotage (Copil) organisée l’hiver dernier. Mais seul un nouveau drame semble en mesure de rebattre les cartes.
Pourquoi un tel revirement?? "Les services de l’État ont pris acte de la position rendue par l’enquête publique en novembre 2019", explique la représentante de la préfecture. Ladite enquête concluait que "les inconvénients du projet de déviation l’emportaient sur ses avantages et émettait un avis défavorable" à la suppression du PN19.
Des aménagements
L’État, en lien avec la SNCF, a donc fait le pari de sécuriser le passage à niveau, sur lequel passent quotidiennement 11.083 véhicules (*), plutôt que de le supprimer. Le service communication de l’entreprise ferroviaire liste les aménagements réalisés : "Un marquage au sol matérialisant la zone d’arrêt de stationnement interdit?; l’installation de la vidéoprotection et de la vidéosurveillance?; l’implantation d’un panneau signalant le passage à niveau et l’installation de Led clignotantes sur les barrières, qui s’enclenchent en même temps que les feux rouges à l’approche d’un train et s’éteignent automatiquement à la fin du relèvement des barrières. On est au maximum de ce qu’il est possible de faire."
“En moyenne, plus de 60 % des infractions sont relevées dans le sens Auxerre-Troyes.Les services de la préfecture de l’Yonne
La mise en place de ces équipements a permis de limiter les accidents graves. Mais à cause du comportement des usagers de la route, le danger guette au passage des 35 trains quotidiens. Le 19 octobre 2021, la barrière s’était abaissée entre la cabine et la remorque d’un poids lourd, dont le chauffeur avait freiné trop tard. Plus tôt, le 17 octobre 2018, une voiture s’était retrouvée coincée entre la voie ferrée et la barrière qui s’était refermée derrière elle.
Les statistiques liées au radar de feux sont éloquentes : 330 infractions ont été relevées en 2020 et 399 en 2021. "Depuis le début de l’année 2022, il en a relevé 251, rapportent les services de l’État. En moyenne, plus de 60 % des infractions sont relevées dans le sens Auxerre-Troyes et sont liées au non-respect du code de la route."
S’agissant du nombre d’incidents recensés, la préfecture ne dispose pas d’un relevé précis. Mais deux incidents liés à des franchissements de barrière une fois le signal visuel et sonore enclenché ont été portés à la connaissance de la préfecture, depuis le début de l’année.
Associée aux discussions, la maire de Monéteau dit se satisfaire de l’abandon de cette suppression. "C’est plus confortable pour nous de rester dans la situation actuelle", reconnaît Arminda Guiblain. Si le projet faisait l’unanimité politiquement, les opinions divergeaient quant à l’itinéraire de déviation de la RN 77 et le montant des opérations. La "variante 5", qui consistait à détourner la circulation vers Monéteau, semblait tenir la corde. Sauf pour le maire de l’époque, qui s’élevait contre, assurant que "la D84 ne pourrait absorber les 15.000 véhicules par jour" détournés de la RN77.
Le coût du projet n’est pas remonté dans les différents Copil.Marion Aoustin-Roth (Directrice de cabinet du préfet de l’Yonne)
Deux mois jour pour jour après l’accident mortel, s’ouvrait une concertation publique mêlant collectivités, État, citoyens et SNCF réseau. On apprenait alors que l’aménagement prévu comprendrait "la création d’un barreau de liaison entre Jonches et Monéteau, raccordant directement la RN77 et la D84 via deux ou trois giratoires". Avec un projet de barreau complémentaire, entre la RD124 et la rocade d’Auxerre, pour desservir Jonches et Laborde.
Le budget, financé par l’État, était estimé à 18,5 millions d’euros. Ce coût a-t-il représenté un frein dans la concrétisation du projet?? Non, estime Marion Aoustin-Roth. "Ce n’est pas l’élément le plus saillant, ce n’est pas remonté dans les différents Copil auxquels j’ai assisté."
Les travaux devaient débuter fin 2019, alors qu’un tracé pour la déviation avait été confirmé le 26 octobre 2018, après une précédente réunion du Copil. On évoquait lors de ce rendez-vous une requalification de la D84 en deux fois deux voies, avec séparateur central entre Jonches et l’entrée dans la zone industrielle de Monéteau. "Comme la commission d’enquête, le conseil municipal avait émis un avis défavorable", rappelle Arminda Guiblain.
L’accident de trop en 2018
L’accident mortel du 14 janvier 2018 avait représenté un choc pour l’opinion. Il s’agissait de l’accident de trop. Ce jour-là, un choc entre un TER et une voiture faisait deux morts. "La voiture était conduite par une mère de famille de 49 ans. Son fils, âgé de 19 ans, était assis sur le siège passager avant", rapportait au moment des faits la procureure de la République d’alors, Sophie Macquart-Moulin.
Dès le lendemain, le maire d’Auxerre jusqu’en 2020, Guy Férez (ex-PS), envoyait sans attendre une lettre au ministre des Transports. Son objectif?? "Accélérer les choses. Car il y en a marre de perdre du temps dans ce dossier où la vie des gens est en jeu", expliquait-il. Un avis largement partagé qu’importe la couleur politique, à l’image de l’ex-député LR Guillaume Larrivé, qui rappelait qu’"en 2014 déjà, le secrétaire d’État aux Transports avait estimé raisonnable que les premiers travaux puissent être envisagés en 2017".
Face au drame, le préfet en poste évoquait même un nouveau calendrier prévisionnel avec une fin de travaux envisageable pour la fin de l’année 2022. "C’est urgent, il y a eu deux morts", considérait Patrice Latron. Mais ce sentiment d’"urgence" à supprimer le passage à niveau, qui a longtemps été le maître mot dans ce dossier, est donc progressivement passé au profit d’une politique d’aménagement.
(*) D’après le dernier comptage enregistré en juin 2021, il a été recensé 11.083 véhicules au niveau du passage à niveau de Jonches : 5.321 véhicules légers dans le sens Auxerre - Troyes et 5.041 véhicules légers de l’autre côté, auxquels s’ajoutent 721 poids lourds.Thomas Ribierre, avec Julien Pépinot
thomas.ribierre@centrefrance.com