Tribunal administratif de Strasbourg
Communiqué de presse
Strasbourg, le 12 mai 2023
Déviation de Châtenois : le tribunal annule l’autorisation environnementale
Par un jugement du 12 mai 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l’autorisation environnementale de réaliser la route de déviation de Châtenois. Il a estimé qu’il n’était pas justifié du respect de plusieurs conditions majeures, exigées par les dispositions du code de l’environnement.
1. Les faits et la procédure
Le préfet du Bas-Rhin a autorisé, le 14 août 2019, la réalisation des travaux de déviation de Châtenois, dans le cadre de l'aménagement de la RN 59 entre Saint-Dié-des-Vosges et Sélestat, qui consistent en la création d’une route à deux fois deux voies, d’une longueur de 5,08 kilomètres, entre l’entrée ouest de la commune de Châtenois et l’autoroute A 35 à l’est.
Cette autorisation a fait l’objet d’une modification, par un second arrêté de la préfète du Bas-Rhin en date du 22 décembre 2020, afin de prendre en compte l’ensemble des zones humides impactées par ce projet.
Par ailleurs, la Collectivité européenne d’Alsace est devenue le maître de l’ouvrage pour cette infrastructure, à compter du 1er janvier 2021. A ce titre, elle est, depuis cette date, titulaire de l’autorisation environnementale précitée.
L’association Alsace Nature a saisi le tribunal administratif de deux requêtes, visant à obtenir l’annulation de cette autorisation, examinées lors de l’audience du 6 avril 2023.
Le 12 mai 2023, le tribunal rend public son jugement.
2. L’essentiel du jugement du 12 mai 2023
Le tribunal a annulé l’autorisation, après avoir relevé plusieurs vices.
Il n’est pas justifié d’une compensation des atteintes aux fonctions des zones humides.
7,16 hectares de zones humides (prairies, forêts, bords de cours d’eau) sont détruits par la mise en œuvre du projet, par imperméabilisation des sols.
En l’état du dossier produit devant le tribunal, la Collectivité européenne d’Alsace et la préfète du Bas-Rhin n’ont pas justifié que les fonctions des zones humides supprimées sont intégralement compensées par celles qui sont recréées.
Il n’est pas justifié, en l’état du dossier, d’un intérêt public majeur tel qu’il puisse permettre de porter atteinte aux espèces protégées présentes dans l’aire du projet.
29 espèces protégées, constituées de mammifères, d’oiseaux, de reptiles, d’un amphibien, d’insectes et d’une espèce de flore, ont été recensées sur les terrains impactés par la construction de la déviation de Châtenois. Les dispositions du code de l’environnement imposent, pour autoriser, à titre dérogatoire, à porter atteinte à ces espèces et à leurs habitats, que la réalisation du projet soit justifiée par une « raison impérative d’intérêt public majeur ».
Le préfet du Bas-Rhin s’est uniquement fondé, pour justifier l’existence d’un tel intérêt public majeur, sur le caractère accidentogène de l’actuelle traversée de la commune de Châtenois par la RN 59, et sur la pollution de l’air, nuisant à la santé des riverains de cet axe.
Toutefois, dans le dossier de demande d’autorisation déposé et dans les pièces versées devant le tribunal, la préfète du Bas-Rhin et la Collectivité européenne d’Alsace ont uniquement produit des relevés du nombre d’accidents survenus sur cette route entre 1996 et 2018, dont il ressort qu’en moyenne, un accident par an s’y est produit. Du fait de ces accidents, 32 personnes ont été blessées et 6 sont décédées durant les 22 années considérées. Aucune donnée n’a été produite sur la nature et la localisation de ces accidents. Si le tribunal ne conteste pas la nécessité d’améliorer la sécurité sur cet axe, il n’est toutefois pas démontré que de simples aménagements ne seraient pas suffisants. Dans ces conditions, compte tenu de ces seuls éléments, il n’a ainsi pas été établi que la construction d’une déviation relevait d’un intérêt majeur.
Pour la pollution de l’air, le dossier produit devant le tribunal a seulement permis de démontrer une diminution, du fait de la réalisation de la déviation, du niveau d’exposition de 7 à 8 % de la population résidant dans la zone d’étude au dioxyde d’azote et à des particules fines de diamètre inférieur à 10 micromètres. Pour plus de 90 % des habitants de la zone, le niveau d’exposition à ces substances demeure inchangé à l’horizon 2030, avec ou sans construction de la déviation. Pour les autres substances étudiées, il n’est pas justifié, par les données produites, d’une amélioration des niveaux d’exposition conditionnée par la mise en service de la déviation. Au contraire, il ressort de l’étude produite que le projet de déviation est à l’origine d’une pollution supplémentaire par dix substances, par rapport au scénario en 2030 sans ouvrage, due à l’augmentation attendue du trafic et des vitesses de circulation. Ainsi, il n’est pas justifié que la pollution de l’air à laquelle sont exposés les riverains de la RN 59 dans Châtenois serait sensiblement diminuée par le recours au projet en litige. Le dossier ne permet donc pas d’établir un intérêt majeur pour la santé des riverains.
Dans ces conditions, la préfète du Bas-Rhin et la Collectivité européenne d’Alsace n’ont pas justifié, pour autoriser cette déviation, d’un intérêt public sur les deux seuls motifs invoqués, tel qu’il puisse être porté atteinte à 29 espèces protégées et à leurs habitats.
Le tribunal a jugé que les irrégularités relevées sur ces deux points majeurs entrainaient l’illégalité de l’ensemble de l’autorisation, ce qui n’a pas permis d’ordonner des mesures de régularisation. Il a donc annulé cette autorisation environnementale.
Ce jugement implique de ne pas poursuivre les travaux entamés.
Ce chantier pourrait être repris si une nouvelle autorisation, conformes aux règles applicables en matière environnementale, était ultérieurement délivrée.
Le jugement du 12 mai 2023 peut faire l’objet d’un appel devant la cour administrative d’appel de Nancy dans un délai de deux mois.
Contacts presse :
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