[ Italie ] Le pont vers la Sicile (Détroit de Messine)

L'autoroute (et la route) à l'étranger.

Messagepar marsupilud » Jeu 25 Mai 2006 09:57

luchar a écrit:D'ailleurs cet ex futur pont devait transporter le TAV en Sicile, où des LGV allant à  Palerme et Syracuse étaient en projet (d'après la carte sur le site du TAV)

Vain dieu, une gare TAV au pied des remparts de Syracuse, ça le ferait !!
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Messagepar luchar » Sam 14 Oct 2006 11:45

L'Italie a abandonné son projet de pont sur le détroit de Messine

:arrow: http://news.bbc.co.uk/1/hi/world/europe/6043626.stm

Question de priorité... je pense qu'il est en effet plus plausible de dépenser cet argent dans la rénovation des lignes ferroviaires de Sicile (qui sont extrêmement vétustes !!!) où la plupart des trains roulent de 30 à  70 (80-100 sur la ligne côtière électrifiée entre Syracuse Catane et Messine).
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Messagepar G.E. » Sam 14 Oct 2006 15:00

C'est très récent tout ça ! Après, on continue avec le système existant mais on peut parier gros que le projet ressortira à  l'occasion d'un changement de majorité, la Sicile votant traditionnellement massivement à  droite...
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Messagepar Maastricht » Sam 14 Oct 2006 15:18

Au moins le Viaduc de Millau restera le plus haut viaduc pour quelques années supplémentaires :tourne:
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Messagepar ouioui » Dim 12 Nov 2006 21:22

G.E. a écrit:Je ne trouve pas que ce soit une excellente nouvelle, surtout que c'est la Sicile qui va en pâtir, sans parler des emplois perdus lors de la construction de l'ouvrage...

Euh... disons que, travailler dans cette région là , c'est quand même très spécial. Normalement, des gros chantiers normaux, ça fait tourner l'économie locale, mais là  bas, ce serait surtout les mafias locales !

G.E. a écrit:Gageons que ce projet ressortira d'ici quelques années, en tunnel cette fois ? :wink:

gailu a écrit:La profondeur du détroit de messine permet-elle de faire un tunnel, pke les fonds méditéranéens sont plutot accidentés et profond comparé à  la manche

Si je ne m'abuse, on doit être plus ou moins sur une zone de faille, non ? Donc, un "tunnel" à  proprement parler, ça me parait pas facile.
Ou peut-être sur le modèle de fameux projet transatlantique, i.e. sans creuser dans le sol, mais en posant la structure depuis la surface.

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Messagepar Maastricht » Sam 07 Mar 2009 16:50

Et dans la lignée de ce que nous rapportait Auriom ici ...

lemoniteur.fr, J-Ph Defawe (avec AFP) a écrit:L'Italie, entrée en récession au troisième trimestre 2008, mise sur le retour de grands projets comme la construction d'un pont sur le détroit de Messine pour relier la Sicile au reste de l'Italie pour tenter de sortir du marasme.

Vendredi, le Comité interministériel pour la programmation économique (CIPE) a donné son feu vert au déblocage de 17,8 milliards d'euros: 16,6 milliards déjà  annoncés en décembre (8,510 milliards de fonds publics et 8,090 de contributions privées) auxquels vient s'ajouter 1,2 milliard destiné aux établissements scolaires (mises aux normes notamment) et aux prisons.
Les fonds serviront notamment à  la construction d'un pont sur le détroit de Messine pour relier la Sicile au reste de l'Italie, véritable serpent de mer et promesse électorale de Silvio Berlusconi. 1,3 milliard d'euros seront consacrés à  ce projet pharaonique et controversé. L'ouvrage, long de 3.690 mètres et suspendu à  64 mètres au-dessus de la mer, a un coût total de 6 milliards d'euros.

Le précédent gouvernement de gauche de Romano Prodi avait abandonné ce projet le jugeant "inutile" et l'opposition s'est interrogée vendredi sur le caractère prioritaire de cette infrastructure à  laquelle les défenseurs de l'environnement sont opposés.
800.000 euros sont également destinés à  la poursuite des travaux du "Moïse", système de digue devant protéger Venise de la montée des eaux.
Les grandes lignes de ces investissements avaient été dévoilées le 18 décembre dernier, l'opposition ayant alors mis en doute la nouveauté des financements estimant qu'une grande partie de l'enveloppe avait été programmée dès 2007.

J-Ph Defawe (avec AFP)
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Messagepar Coccodrillo » Sam 21 Mar 2009 15:56

marsupilud a écrit:C'est bizarre ces bretelles qui se croisent : on dirait que les sens de circulation s'inversent ! Non ?


Pour ne pas faire voyager véhicules routiers et trains en sens opposé, donnat l'impression aux automobilistes d'avoir un train venant contre eux.
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Re: [ Italie ] Le pont vers la Sicile (Détroit de Messine)

Messagepar jml13 » Mer 17 Oct 2012 07:54

Up... and down !
MéridienMag a écrit:300 M€ pour oublier l'ex-futur Pont de Messine
L'abandon définitif du pont de Messine, décidé par Mario Monti, rapportera 54 M€ au constructeur espagnol Sacyr, qui détenait 18% du consortium Eurolink, regroupant l'ensemble des entreprises de travaux publics engagées dans ce projet pharaonique. Au total, 300 M€ d'indemnités seront versées, dont une grande partie au groupe italien Impregilo.
Le pont de Messine devait relier la Sicile à la « botte » italienne (région de Reggio Calabria). L'ancien président du Conseil, Silvio Berlusconi, avait fait de cet ouvrage une « priorité nationale » en 2004, prévoyant un investissement de 4,5 mrds €. Au fil des années, le devis a été multiplié par deux, ce qui a justifié la décision de Mario Monti.
« Le projet pouvait être intéressant pour le développement de la Sicile, mais semblait voué à l'échec dès le départ », commente Paola Grieco, journaliste pour le quotidien économique italien Il Sole 24 Ore : « D'abord en raison des préoccupations environnementales, mais aussi à cause des risques de compromission avec la mafia ; sans parler des exigences financières surdimensionnées dans un pays en crise comme l'Italie.»
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Re: [ Italie ] Le pont vers la Sicile (Détroit de Messine)

Messagepar Auriom » Mar 20 Oct 2015 16:25

Léger soubresaut pour ce projet dont on parle tous les trois ans.

Pour ceux qui ne veulent pas lire tout l'article, l'élément nouveau est dans les toutes dernières phrases.

Le Monde a écrit:Le pont sur le détroit de Messine sauvé des eaux ?

Le Monde | 20.10.2015 à 12h22 • Mis à jour le 20.10.2015 à 12h25 | Par Philippe Ridet (Rome, correspondant)

Lettre d’Italie. A lui seul, il vaut tous les indicateurs de l’Institut national de la statistique (Istat). Il signale le retour de la croissance, donc de la confiance, donc de la capacité du pays à se projeter dans l’avenir, à rêver en grand. Il disparaît de la programmation quand l’Italie souffre, il réapparaît quand elle se sent forte. Bref, il est au moral de la Péninsule ce que la grenouille est aux météorologues, du moins selon la légende. De quoi parle-t-on ? Du pont censé enjamber, un jour, le mince (3,3 kilomètres) détroit de Messine (en italien le « stretto ») et d’arrimer la Sicile au continent. Souvent projeté, autant de fois enterré, le projet refait surface.

Déjà le 23 septembre 1950, notre lointain prédécesseur à Rome, Jean d’Hospital, écrivait dans les colonnes du Monde qu’un ingénieur américain, David B. Steinman, spécialiste en ouvrages d’art, avait été engagé par l’association des constructeurs italiens pour élaborer un projet. « S’il soulève de grandes difficultés sur le plan technique, il réclame des sacrifices énormes sur le plan financier », analysait notre confrère avec une prudence de bon aloi dans ce qui reste le premier papier publié dans le quotidien du soir à propos de ce défi technologique.

Et encore Le Monde n’existait-il pas encore au XIXe siècle lorsque les premiers projets se firent jour pour mieux symboliser l’unité toute neuve de l’Italie. Tout ce que la Péninsule compte de politiques visionnaires et d’ingénieurs de haut rang a tenté d’affronter les problématiques technologiques d’une telle réalisation (forts courants, vents violents et risques sismiques). Pendant la seconde guerre mondiale, Mussolini, qui voyait grand, se sert, lui aussi, de l’argument pour galvaniser les Italiens qu’il va précipiter dans le désastre : « Après la victoire, leur lance-t-il, nous jetterons un pont sur le détroit. »

En 1945, la paix revient et le pont avec elle. Humiliée par la guerre et le fascisme, l’Italie se relève, les prémisses du boom économique des années 1960 dopent le moral des Transalpins. On peut recommencer à rêver. Le projet de l’ingénieur Steinman est adopté et budgété. En 1955, un consortium d’entreprises, parmi lesquelles Fiat, Italcementi et Pirelli, est constitué pour le financer. Déjà, dans les alentours de Messine et en Calabre, des cartes postales sont mises en vente. « Le vrai pont », peut-on lire en légende d’un montage photographique un peu rudimentaire. C’est à ce jour la seule trace visible du Ponte sullo stretto.

Au cours des années suivantes, le projet sera maintes fois modifié mais toujours inscrit au programme de tous les gouvernements. En 1992, l’Etat s’engage officiellement au côté des promoteurs du projet. Quelque 300 millions d’euros ont déjà été dépensés en études préparatoires. Le pont est présenté, par la droite comme par la gauche, comme une réponse aux problèmes de sous-développement du sud de l’Italie en général et de la Sicile en particulier. Réponse d’autant plus facile qu’elle est lointaine. La complexité des travaux, les difficultés de financement et les délais prévus pour leur réalisation mettent à l’abri les défenseurs du projet de devoir un jour rendre des comptes.

Mais c’est à Silvio Berlusconi, trois fois président du conseil, que l’on doit l’usage le plus politique de ce projet démesuré. Il a construit une ville nouvelle (Milano 2), bâtit un empire de communication (Mediaset), construit un parti en quelques jours (Forza Italia), que sont pour un homme de cette trempe quelques kilomètres de bitume au-dessus des flots ? A chaque fois que sa popularité souffre, que le doute s’installe sur sa capacité à réformer le pays, il ressort le pont des tiroirs, comme un prestidigitateur le ferait d’un lapin d’un chapeau haut de forme. Il ajoute même un nouvel argument en faveur de l’édification de l’ouvrage : « Si un homme de Messine est amoureux d’une femme de Calabre, il pourra aller la voir même à 4 heures du matin, sans devoir attendre le bac qui fait la navette. » Malédiction : la crise financière de 2008 le contraindra à renoncer à venir au secours de l’amant de Messine.

Fin de l’histoire ? Avec beaucoup d’immodestie, nous avions même pensé, en octobre 2013, avoir mis un point final à cette saga. Un peu fanfaron, nous écrivions : « Nous pourrions bien être le dernier correspondant à Rome à traiter du sujet de la construction du pont de Messine », expliquant que « l’Assemblée a voté un amendement, présenté par l’opposition, supprimant le financement prévu pour la réalisation de l’ouvrage. » Pas très malin ! Depuis, l’Italie s’est redressée, la croissance et revenue, entraînant à sa suite l’optimisme et le pont de Messine. Le 29 septembre, les députés ont voté une motion demandant au gouvernement de revoir sa position. Ce qu’il a accepté sous réserve de « l’évaluation des coûts et des bénéfices ». Ça nous apprendra !
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Re: [ Italie ] Le pont vers la Sicile (Détroit de Messine)

Messagepar Auriom » Jeu 01 Déc 2016 14:58

Tiens, cette fois il n'y a eu qu'un an de jachère.

Le Monde a écrit:Entre Sicile et Calabre, un pont si loin

Le vieux rêve d’unir l’île à la péninsule italienne par un ouvrage hors normes a refait surface lors de la campagne pour le référendum du 4 décembre. Mais le projet reste très hypothétique.

LE MONDE ECONOMIE | 01.12.2016 à 11h50 | Par Jérôme Gautheret (Reggio de Calabre, envoyé spécial)

La friche est à l’abandon, sans charme particulier. Mais la vue qu’on y admire est à couper le souffle. Devant, le port de Messine et le relief sicilien se découpent avec une parfaite netteté, dans un ciel sans nuages. L’île semble à portée de main, alors qu’elle est séparée du continent par un détroit de plus de 3 kilomètres de large…

C’est de cet endroit encore sauvage situé en bordure d’une route irrégulière, à quelques kilomètres du port de Villa San Giovanni, et pour tout dire au bout du monde, que devrait partir un jour le pont qui reliera la Calabre à Messine, arrimant la Sicile au sud de la péninsule italienne et réalisant ainsi un rêve vieux de deux millénaires.

Quand les travaux vont-ils commencer ? Ou plutôt : commenceront-ils bien un jour ? Vu de la plus grande ville de Calabre, Reggio, à quelques kilomètres plus au sud, la question intrigue. Mais ici, on a cessé depuis longtemps de faire des pronostics. « Moi, en tout cas, je ne le verrai pas de mon vivant », affirme dans un sourire Mimmo Gangemi, ingénieur de formation, auteur de romans policiers (deux d’entre eux sont traduits aux éditions du Seuil) et enfant des montagnes de Calabre, qu’il n’a jamais vraiment quittées.

« Infrastructure prioritaire pour l’intérêt du pays »

Ce sexagénaire souriant et chaleureux, intarissable sur les mystères de son pays, ne cherche pas à masquer son fatalisme. « Vous savez ce pont, on en parle depuis l’indépendance du pays, ça fait cent cinquante ans au moins qu’ils y pensent… », explique-t-il en marchant doucement le long de la superbe promenade qui fait face au détroit, celle que le poète Gabriele D’Annunzio aurait, selon la légende, qualifiée un jour de « plus beau kilomètre d’Italie ».

Au pays des grands travaux qui jamais ne finissent, le pont sur le stretto n’est pas un chantier comme les autres. C’est un des plus emblématiques, une matérialisation dans l’espace de l’unité italienne. Une chimère, sans cesse repoussée à plus tard.

Pourtant, cet automne, sans doute à la faveur de la campagne sur le référendum du 4 décembre, les choses ont bougé. En septembre, le premier ministre italien Matteo Renzi a annoncé sa volonté de faire redémarrer le projet. Mi-novembre, à la demande du gouvernement, un amendement visant à reconnaître le pont comme « infrastructure prioritaire pour l’intérêt du pays » a été ajouté au texte du budget 2017. Le gouvernement doit investir 2 milliards d’euros dans le chantier, dont le coût total estimé serait de 8 milliards. Selon le chef du gouvernement italien, « le pont pourrait créer 100 000 emplois ».

Projet particulièrement tourmenté

Les plans sont réalisés, les études faites. L’ouvrage d’art, aux proportions hors normes, doit faire 5 kilomètres de long dont 3 300 mètres de tablier, sans piliers intermédiaires (un record), et le tout sera tenu par des câbles de suspension de plus de 1,20 mètre de diamètre. Le pont, d’une largeur de 60 mètres, s’élèvera 70 mètres au-dessus du niveau de la mer pour laisser passer les cargos (le détroit de Messine est une des routes maritimes les plus fréquentées de Méditerranée), et les deux piles tenant l’ensemble culmineront à 382 mètres de hauteur. Il s’agit d’accueillir 140 000 véhicules et 200 trains par jour.

Bref, rien ne semble empêcher le chantier de démarrer enfin. Alors pourquoi donc ce scepticisme général ? Cela tient beaucoup à l’histoire du projet, particulièrement tourmentée. La première tentative moderne remonte à 1840. Le royaume de Naples jetait ses derniers feux quand Ferdinand II de Bourbon a lancé un concours d’architectes, reprenant un songe de Pline l’Ancien, qui relatait comment, à l’époque des guerres puniques, les légions romaines avaient réalisé un pont de bateaux entre Charybde (en Sicile) et Scylla (sur le continent), pour faire traverser 140 éléphants pris aux Carthaginois. Mais les difficultés techniques sont telles que le roi est contraint de renoncer.

Le rêve d’unir les deux rives persiste et se renforce avec l’unification de l’Italie, mais il faudra attendre plus d’un siècle pour l’envisager concrètement. Les premières études sérieuses commencent dans les années 1970. Au milieu des années 1980, le président du conseil Bettino Craxi en fait son cheval de bataille, et un projet préliminaire est publié en 1992. Mais Craxi est balayé par l’opération « Mains propres ».

Exhumé cet automne par un Matteo Renzi

Au début des années 2000, le chantier devient un sujet d’affrontement gauche-droite. Alors chef de gouvernement, Silvio Berlusconi s’en fait l’avocat. Mais après sa victoire électorale en 2006, Romano Prodi suspend tout. Le projet est une nouvelle fois exhumé en 2008, après le retour au pouvoir de la droite, avant de faire les frais de la cure d’austérité infligée au pays par Mario Monti, en 2011-2012.

Il semblait enterré pour de bon lorsqu’il a été exhumé cet automne par un Matteo Renzi en campagne, lancé dans une grande entreprise de séduction du centre droit, et plus largement d’un Sud dont les voix lui font cruellement défaut. Sa conversion est si soudaine qu’elle a de quoi surprendre : en 2010, le jeune maire de Florence n’avait-il pas fait de ce chantier le symbole d’un modèle de développement dépassé, lançant « je voudrais un pays qui préfère le haut débit au pont sur le stretto ? »

La région cumule les handicaps

De fait, même sur place, les avis sont partagés. « La plupart des gens ne sont pas contre le pont par principe, explique M. Gangemi. Quand ils disent non, c’est un non relatif. C’est juste qu’il y a tellement de choses à faire… Notre région est dernière dans tous les domaines : l’éducation, la santé… Notre agriculture a été détruite, et les routes sont dans un état désastreux. Quand vous devez vous rendre à Milan pour une appendicite ou un problème aux yeux, comment pouvez-vous penser qu’un pont est la priorité ? » Avec 16 500 euros de produit intérieur brut par habitant, moins de la moitié du niveau de vie de la Lombardie, la région cumule les handicaps.

Le jeune et dynamique président du conseil régional de Calabre, Nicola Irto, 35 ans, comprend ces réserves. « Mais le pont ce n’est pas uniquement un projet pour la Calabre, ça parachève un axe Berlin-Palerme : ça concerne toute l’Europe », avance-t-il. Il ne fait pas partie des adversaires déclarés du projet, comme son voisin d’en face, le maire de Messine Renato Accorinti, un militant écologiste élu sous la bannière « no ponte ». Mais il se garde bien de prendre ouvertement position, et montre, depuis l’immense baie vitrée de son bureau donnant sur le détroit, le trafic incessant des bateaux, que des travaux viendraient compliquer durablement.

L’autre difficulté matérielle majeure, c’est le risque sismique. Il suffit pour en prendre conscience de se promener quelques heures dans Reggio de Calabre : le centre-ville est un damier parfait, une incongruité sur un site urbanisé depuis l’antiquité grecque. C’est que la ville a été intégralement reconstruite après le séisme de 1908, qui a fait plus de 100 000 morts dans la région.

Sur les terres de la ‘Ndrangheta.

« Le détroit est le lieu de passage d’une faille nord/sud très nette, explique la sismologue Lucilla Benedetti (CNRS). Et les stations GPS implantées à Messine et en Calabre montrent que le détroit s’élargit. Pour nos prévisions, nous ne pouvons que nous fonder sur nos observations. Mais ce que nous voyons, c’est que depuis le XVIIIe siècle, pour l’Italie, c’est là que les secousses ont été les plus fortes. Il y a eu 1783, 1857, 1908… A chaque fois les destructions ont été terribles. » Le pont qui devrait bientôt sortir de terre sera conçu pour résister à un tremblement de terre d’une magnitude de 7,1. Celui de 1908 était de… 7,2.

Et puis il y a un autre risque, dont tout le monde n’accepte pas de parler à voix haute. En Calabre, nous sommes sur les terres de la puissante ‘Ndrangheta. Aucun grand chantier ne peut se lancer sans que l’organisation mafieuse soit concernée, de près ou de loin. Alors un pont à 8 milliards d’euros…

La guerre souterraine qu’elle livre à l’Etat italien est visible à chaque coin de rue. A Reggio, ce n’est pas toujours la crise qui fait fermer les commerces. Beaucoup de rideaux métalliques ont été baissés par décision administrative, parfois sur la base de simples dénonciations. Si bien qu’à la nuit tombée, il n’est pas si facile de trouver un café ouvert.

Pour avoir dénoncé l’arbitraire de ce système, et aussi parce qu’il a plusieurs fois affirmé que certains magistrats exagéraient l’importance de la mafia pour faire carrière, M. Gangemi a perdu quelques amis, à Rome et ailleurs. « Je suis né ici. Je les connais, depuis mon enfance je respire le même air qu’eux. Je ne vais pas vous dire que la ‘Ndrangheta n’existe pas ! » Mais selon lui, cette réalité ne doit pas justifier que l’Italie abandonne la Calabre à son sort. « Si on renonce à un chantier parce qu’on a peur de la mafia, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’ils ont gagné. »

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Re: [ Italie ] Le pont vers la Sicile (Détroit de Messine)

Messagepar Auriom » Ven 08 Mai 2020 14:16

Auriom a écrit:Léger soubresaut pour ce projet dont on parle tous les trois ans.

Bon, je me cite car la règle se vérifie à nouveau. Un peu moins de quatre ans après notre dernier point, Le Monde revient aux nouvelles. L'article étant en accès limité, je ne mets pas tout :

Le Monde a écrit:Entre la Sicile et la Calabre, le pont qui n’existe pas

Par Thomas Saintourens
Publié le 01 mai 2020 à 14h13 - Mis à jour le 04 mai 2020 à 06h15


Récit - Un pont suspendu devait s’élancer au-dessus du détroit de Messine. Dans les années 2000, toutes les études étaient prêtes, le chantier enfin lancé puis… plus rien. Lourdeurs bureaucratiques, rivalités politiques et austérité budgétaire ont eu raison du projet, dont le sort pourrait être définitivement tranché cet été.

[...]

Trois kilomètres trois cents entre Torre Faro et Villa San Giovanni : le chantier aurait donné naissance au pont suspendu ayant la plus longue portée au monde – ce serait encore le cas –, loin devant les 1 991 mètres du recordman actuel, le pont japonais du détroit d’Akashi. Jusqu’aux entrées routières, l’ouvrage italien ferait environ 5 kilomètres de long.

Histoire de corser l’affaire, ce défi technique s’inscrit au cœur d’une zone aux risques sismiques élevés, soumise à des courants et à des vents violents, reliant deux régions parmi les plus pauvres du pays et gangrenées par la Mafia (Cosa Nostra côté sicilien, ’Ndrangheta côté calabrais)…

La prouesse annoncée s’est transformée en chantier maudit. « Le pont a subi les oscillations de la politique plus que celles du vent », poétise Giuseppe Fiammenghi, l’ancien directeur technique de la Stretto di Messina S.p.A. (société par actions), l’entreprise concessionnaire créée en 1981 pour chapeauter la réalisation de l’ouvrage. Figurent à son capital les grandes agences étatiques d’aménagement du territoire, des autoroutes et des chemins de fer, ainsi que les régions Sicile et Calabre.

[...]

Les habitants de la région, quelle que soit leur rive d’origine, se divisent toujours en deux tribus. Sipontisti contre nopontisti. D’un côté, les « pro » croient aux perspectives d’emplois à foison, au renouveau économique du Sud, voire aux auspices d’une nouvelle route commerciale « de Palerme à Berlin ». De l’autre, les « anti » fustigent l’impact environnemental (sur les oiseaux migrateurs, les fonds marins…) et l’inutilité d’un ouvrage pharaonique quand l’état même des routes et des voies de chemin de fer est défaillant, particulièrement en Sicile.

D’autant que la tragédie de l’écroulement du viaduc Morandi de Gênes (Ligurie), à l’été 2018 (43 morts), et, plus récemment, l’effondrement du pont d’Aulla (Toscane), le 8 avril (un blessé léger seulement grâce au confinement), ont rappelé que la fiabilité des franchissements routiers et leur maintenance demeurent un sujet critique dans la Péninsule. « Quelle est la position de votre journal quant au pont ? », sera plusieurs fois l’entrée en matière d’interlocuteurs suspicieux, lorsque l’on vient les questionner à propos de ce sujet sensible.

L’hôtel de ville de Messine (236 000 habitants) a abrité autant de débats officiels que de messes basses. Son actuel locataire, Cateno De Luca, a été porté par une coalition de listes « civiques » plutôt centristes et autonomistes. Ce quadragénaire énergique et fanfaron se présente comme un sipontista déterminé. Tout l’opposé de son prédécesseur, Renato Accorinti, un barbu aux idées baba cool, engagé dans des luttes pacifistes et écologistes. Le maire De Luca reçoit dans son vaste bureau aux murs orangés, en surplomb du détroit, où se croisent les ferrys, certains transportant les trains en provenance de Milan (dix par jour, dix-sept heures de périple jusqu’à Palerme).

« La ville est fatiguée d’être bloquée par ces chimères. Moi, je vais demander les pleins pouvoirs pour la gestion du pont, qui sera ma priorité en 2021 », plastronne De Luca. L’édile confie avoir cru lui aussi au mirage. C’était en 2009, lorsque la première pierre fut posée à Cannitello, côté calabrais. Il s’agissait d’une simple déviation ferroviaire d’un coût de 26 millions d’euros, censée faire place nette au chantier de la partie continentale.

C’est un ingénieur tout aussi soucieux, mais autrement plus sérieux et distingué, qui a donné rendez-vous dans le bar moquetté d’un hôtel cossu du centre-ville de Messine. Giovanni Mollica, ex-consultant d’Eurolink, maître d’œuvre désigné du programme, est au bord du désespoir. « Le pont de Messine est un cas pathologique. Une anomalie planétaire », se désole ce cofondateur du Réseau civique pour les infrastructures du Sud. « Il n’y a pas dans le monde une autre île de plus de 100 000 habitants, distante de moins de deux milles d’un continent, qui ne soit reliée à lui par un ouvrage fabriqué par l’homme », récite-t-il.

Et de rappeler, blêmissant plus encore, que le coût de l’Exposition universelle de Milan de 2015 (environ 4 milliards d’euros) dépasserait celui du pont, lequel serait réalisable en six ans. Toutes les études de faisabilité sont prêtes à l’emploi, soutient-il.

Plus de 8 000 croquis et équations prennent la poussière, mille kilomètres plus au nord, dans un entrepôt de l’Ecole polytechnique de Milan. Parmi les maquettes d’ouvrages, le pont de Messine, parsemé de petites voitures anguleuses désormais vintage, est le seul à n’avoir jamais vu le jour en taille réelle.

« La triste ironie est que ce modèle, dénommé internationalement le “Messina type’’, avec son tablier à caissons multiples, a été répliqué dans le monde entier, comme récemment pour le troisième pont sur le Bosphore, en Turquie », explique le professeur émérite Giorgio Diana, longtemps directeur de la « galerie du vent », où ont été menés les essais en soufflerie.

[...]



De Palerme à Berlin... Celle-là, je ne l'avais pas encore lue.
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