A mon avis, si ce tronçon figure sur cette carte, c’est tout simplement parce qu’il avait fait l’objet d’une enquête d’utilité publique en 1962 (du 29 octobre au 17 novembre) dans le cadre de la section Avallon - Chalon-sur-Saône de l’Autoroute Paris - Lyon et qu’il aurait très bien pu être mis en chantier quelques mois plus tard si le Ministère de la Construction (Direction de l’Aménagement du Territoire) ne s’y était pas opposé.
Dans les archives de l’IAURP, je suis tombé par hasard sur un rapport conjoint des Services Ordinaires des Ponts et Chaussées de Côte-d’Or et de Saône-et-Loire datant du 11 février 1964, dans lequel étaient comparées, à la suite des remarques soulevées à l’occasion l’enquête, les deux tracés dits « par Larochepot » et « par Beaune ». Je vous en résume les points principaux (attention, c'est un peu long...
) :
Le tracé par Larochepot était l’aboutissement des études comparatives menées depuis 1956 par les Services Ordinaires des Ponts et Chaussées de Côte-d’Or et de Saône-et-Loire, en liaison avec le Service Spécial des Autoroutes, à partir du tracé général dit « de l’Auxois » pris en considération par décision ministérielle du 26 novembre 1957. Une variante par Beaune avait été envisagée en 1959 car elle aurait permis de constituer un tronc commun de près de 30 km avec l’autoroute A37 Chalon - Dijon - Langres et donc d’anticiper de plusieurs années sur la mise en service de celle-ci mais, après examen de l’étude de cette variante, le Service Spécial des Autoroutes concluait le 19 octobre 1960 qu’il convenait de s’en tenir au tracé direct par Larochepot.
Le dossier d’Avant-Projet Sommaire avait été établi les 1er et 2 février 1962 et approuvé par décision ministérielle le 17 juillet 1962. Cette décision précisait aussi la liste des échangeurs prévus. Extrait :
- échangeur de Gissey-le-Vieil. Situé immédiatement à l’origine de la section intéressée, il constitue le point de départ d’une liaison routière de 1er ordre vers Dijon dont la construction a été retenue au plan directeur de l’aménagement du réseau routier national dressé le 3 mars 1961 ;
- échangeur d’Auxan sur le CD17. Il est destiné à assurer la desserte des régions de Beaune vers Paris et d’Arnay-le-Duc vers Lyon et Paris ;
- échangeur de Nolay sur la RN73. Il assurerait la desserte de Nolay vers Paris et de la région d’Autun-Epinac en direction de Lyon ; sa construction serait provisoirement réservée en raison de la proximité de l’échangeur de la RN74 ;
- échangeur de la RN74 vers Chagny. Tant que la section de l’autoroute A37 Dijon - Chalon-sur-Saône n’aura pas été construite et mise en service, cet échangeur assurera l’accès à l’autoroute Paris - Lyon vers le Sud (ou vice-versa) de tout le trafic de la RN74. Il assurera la desserte vers Paris de la région comprise entre Chalon-sur-Saône et Montceau-les-Mines. Après la mise en service de l’autoroute A37, cet échangeur continuera à assurer la desserte locale de la région qui s’étend sensiblement entre Beaune/Chagny et Montceau-les-Mines.
Lors des études préliminaires, une difficulté technique majeure avait été repérée sur ce tracé : au droit du village de Larochepot, environ 1 km après le début de la descente vers le val de Saône, il fallait traverser sur 1,5 km une zone de marnes compactes et dures sur lesquelles glisse un épais manteau d’éboulis et on devait raisonnablement s’attendre à de graves difficultés, « aussi bien pour réaliser la construction des ouvrages que pour en assurer ultérieurement la conservation et l’entretien ». Après études détaillées, les Ingénieurs des Ponts et Chaussées avaient conclu que ce problème pouvait être résolu en choisissant de franchir l’ensemble par un grand viaduc fondé sur les marnes dures et dont les piles les plus exposées seraient protégées des poussées latérales du manteau d’éboulis par des éperons en béton ancrés dans les marnes et construits environ 15 mètres en amont. Leur rapport précise que « Ce viaduc, avec ses ouvrages avancés, constituera une solution coûteuse certes, mais elle sera à la fois sure et durable, et, dans le site pittoresque de Larochepot, elle ne sera pas dépourvue d’esthétique ».
Outre les gros problèmes techniques incontournables, ce tracé s’est heurté à plusieurs objections majeures lors de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique, dont notamment des problèmes liés au foncier.
1°) Dans la région de l’Auxois, les registres d’enquête des communes d’Eguilly, Chailly-sur-Armançon, Thoisy-le-Désert, Maconges, Meilly-sur-Rouvres, Chazilly, Pouilly-en-Auxois et Montceau-Echarnant font état d’une opposition générale à la traversée par l’autoroute de la vallée couverte de prés d’embouche et de pâturages réputés. Cette opposition a été conduite par M. le Maire de la commune de Thoisy-le-Désert qui a déposé à la sous-préfecture de Beaune, le 13 novembre 1962, un mémoire approuvé par tous les Maires des communes intéressées. Il est reproché au tracé mis à l’enquête de nuire gravement aux intérêts des éleveurs et d’apporter une gêne insupportable aux exploitations. L’utilité publique de l’autoroute n’est pas contestée mais un autre tracé plus à l’Ouest et passant par des bois et des terrains de moindre valeur est suggéré.
2°) De même, dans la descente de Larochepot, déjà bien difficile du point de vue technique, le tracé prend d’enfilade, et sur une très grande largeur, des terrains agricoles constitués de prés et de culture, de valeur réelle limitée mais auxquels les populations locales, déjà tourmentées par les nombreux travaux de reconnaissance entrepris quelques années seulement après le gros chantier de la déviation de la Nationale 6 en 1956, attachent une importance d’autant plus grande qu’ils sont plus rares dans cette vallée étroite. Les Ingénieurs ne voient pas d’autre solution que de mettre le prix lors des indemnisations des propriétaires concernés car aucune variante de tracé n’est envisageable à cet endroit.
3°) Dès avant l’enquête, l’opinion publique s’était émue du passage de l’autoroute Paris - Lyon à travers les vignobles de Chassagne-Montrachet qui avaient été déclarés d’intérêt public par arrêté du Ministre de l’Agriculture du 29 mars 1960. Au cours de l’enquête, de nombreuses observations et suggestions ont été faites, aussi bien de la part de propriétaires de vignobles que de la part de services ou d’organismes divers à caractère agricole ou œnologique. La plupart demande que le tracé soit décalé pour passer à au moins 20 mètres de toutes les parcelles classées Montrachet et que soit évité la construction du remblai de 10 à 15 mètres de haut qui aurait pour effet de modifier les microclimats de cette région dont la qualité exceptionnelle des vins étaient tributaire. Après études de détail, les Ingénieurs considéraient que le tracé pourrait effectivement être légèrement décalé, au prix d’une rectification de tracé de la RN6 toute proche sur 680 m, et qu’on pouvait remplacer le haut remblai par un viaduc de 400 m de long, « ouvrage important et coûteux mais qui ne pose pas de problème technique particulier et dont la conception soignée pourrait présenter un certain cachet ».
4°) Dernier gros point noir retenu par la commission d’enquête dans son rapport : le passage au droit de Chagny. Le tracé soumis à l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique prévoyait l’incorporation à l’autoroute de la déviation de la RN6 construite en 1954-55 et une nouvelle chaussée pour le trafic local devait être construite accolée à l’autoroute, côté ville. De nombreuses voix, en particulier le Ministère de la Construction et les urbanistes chargés du plan d’urbanisme de Chagny, s’étaient vivement élevées pour protester contre ce choix qui allait asphyxier la ville et empêcher tout développement vers l’Est alors que les voies ferrées l’enserraient déjà à l’Ouest. Ces réserves avaient conduit les Ponts et Chaussée à proposer un nouveau tracé décalé vers le Nord-Est et contournant plus largement la ville, passant au-delà du cimetière. Du coup, ils proposaient également un tracé décalé vers l’Est jusqu’à la déviation de Chalon-sur-Saône, alors que le projet initial longeait en grande partie la RN6 de Chagny à Chalon.
Outre ces objections auxquelles des solutions pouvaient être apportées, le tracé par Larochepot s’est heurté à une réserve majeure émanant de la Direction de l’Aménagement du Territoire, au Ministère de la Construction. Celle-ci remettait en cause le principe même du choix de l’itinéraire et souhaitait le retour à la variante par Beaune étudiée et non retenue en 1959-60. Cette demande s’appuyait sur plusieurs arguments, notamment :
- la variante par Beaune possèderait un tronc commun de plus de 20 km avec l’autoroute A37 dont le début de mise en service se trouverait de ce fait avancé de plusieurs années ;
- le débouché plus septentrional dans le sillon rhodanien faciliterait les liaisons avec les régions à l’Est de Beaune et la Suisse, ainsi qu’avec Dijon tant que cette ville ne serait pas desservie par des voies à caractéristiques autoroutières ;
- le croisement avec le grand axe Nord-Sud aurait tout intérêt à se trouver au voisinage d’une ville telle que Beaune dont les qualités entant que ville-relais sont bien supérieures à celles de Chagny ;
- la longueur du parcours à effectuer dans la partie la plus élevée de la Côte-d’Or serait plus courte, ce qui réduirait les inconvénients liés au risque de verglas en période froide ;
- le passage par Savigny-les-Beaune est le seul qui permette d’éviter l’expropriation et la destruction de vignobles de réputation mondiale.
Les études de la variante dite « tracé par Beaune » avaient donc été reprises dans l’urgence en juillet 1963 pour fournir au Ministre des Travaux Publics et des Transports les éléments de décision. Les deux tracés étaient conçus pour une vitesse de référence de 140 km/h, y compris dans la traversée de la Côte, « compte tenu de l’importance de l’axe Paris-Lyon-Marseille ». La comparaison des deux solutions montrait qu’il y avait de part et d’autre des problèmes techniques sérieux, mais non insurmontables, et que les problèmes fonciers se poseraient de toute façon. Les principaux points faibles du tracé par Beaune étaient :
- la longueur à construire, supérieure de plus de 4 km à celle du tracé direct ;
- les caractéristiques géométriques du profil en long sur une section de 18 km de part et d’autre du point culminant, avec plus de 10 km de pentes supérieures à 3% contre 7 km par Larochepot ;
- l’importance des terrassements, de nombreux remblais et tranchées atteignant 30 mètres de haut ;
- la traversée des prés d’embouche de l’Auxois, entre Gissey-le-Vieil et Sainte-Sabine, aucune variante locale n’étant envisageable contrairement au tracé par Larochepot ;
- le passage à Crugey, à proximité immédiate du village où l’autoroute créera des dommages certains ;
- la traversée du vignoble à Savigny-les-Beaune, où des oppositions violentes s’étaient déjà manifestées. Le rapport précise que cette difficulté s’atténuerait un peu en choisissant un tracé plus direct qui toucherait un vignoble en général moins réputé de Beaune mais il fallait pour cela condamner l’aérodrome civil de Beaune (aérodrome de classe D dont l’extension sur place était de toute façon impossible).
Sur le plan financier, le tracé par Beaune était estimé à 283,7 millions de francs contre 256,9 millions pour le tracé par Larochepot (coûts d’investissement en valeur 1964) mais il permettait d’économiser la construction de 20 km de l’autoroute A37, estimée à 71,9 millions en valeur 1964.