Sud-Ouest a écrit:Bordeaux coincée par les bouchons
Les difficultés s'accroissent dans l'agglomération bordelaise, et surtout sur la rocade. Avec des transports en commun saturés ou insuffisants.
Chaque matin, Sandrine Callejon s'interroge. Comment va-t-elle se rendre à son travail ? Elle vit dans le quartier des Échoppes, à Pessac, au sud de l'agglomération, mais son emploi se situe vers le quartier des Chartrons, au nord de Bordeaux. Ce sont 7 kilomètres qu'il faut parcourir chaque jour au fil de rues sinueuses, au milieu des bouchons. « Si je prends le bus 4 devant chez moi, je vais mettre à peu près cinquante-cinq minutes, sans être certaine d'être assise. C'est le même temps en voiture. Alors je préfère souvent mon véhicule, au moins j'y suis bien. » Il y aurait bien l'option du tramway, plus rapide, mais « il est bondé, et les incivilités s'y multiplient. Je ne me vois pas rester debout trente à trente-cinq minutes serrée parmi les passagers ». Là encore, le choix de la voiture s'impose presque naturellement. Parfois, Sandrine Callejon adopte même la marche à pied plutôt que les transports en commun. Une heure et demie à déambuler, mais sans autre contrainte. Des exemples comme celui-ci, il en existe des dizaines de milliers. Chaque matin, la grande majorité des habitants de la métropole bordelaise mettent en place la stratégie qu'ils estiment être la plus efficace pour contourner cette thrombose. Car les chiffres sont indiscutables. On passe aujourd'hui plus de temps dans les transports qu'il y a quelques années, 68,4 minutes chaque jour en moyenne pour être précis. Alors que les transports en commun se sont développés et que la circulation s'est réduite. Mais pas partout. Le centre-ville a été progressivement bouclé, par le passage du tramway, l'apparition de couloirs de bus et de zones fermées aux voitures. Le trafic n'a donc cessé d'y baisser. Mais les temps d'attente au volant ont cependant augmenté en raison de cette réduction des voies. Du coup, les bouchons vont maintenant bien au-delà des boulevards et des barrières qui les limitent.
Mais surtout, le trafic s'est encore plus déporté sur la rocade. Depuis le début de l'année, la circulation y a d'ailleurs augmenté de 2 % par rapport à 2010. Désormais, les voitures sont pratiquement à l'arrêt jusqu'à la sortie de La Brède en arrivant de Toulouse, ou aux laboratoires Sanofi d'Ambarès lorsque l'on vient du nord. Une situation que nous avons constatée en circulant un matin. D'autres font tous les jours le même constat. Gérard Pihouee raconte son réveil à 5 heures du matin pour être certain d'arriver à 8 heures à l'hôpital Saint-André pour des radiothérapies, en partant de Blaye à 6 heures. « Parfois, nous étions quand même en retard. » Nelly Descoubes, fonctionnaire au Sdis de la Gironde à Bordeaux, arrive de Mios tous les matins. Un trajet de 100 kilomètres. Elle constate depuis le mois de septembre « un accroissement du nombre de voitures sur la rocade. Dès 7 h 05, le trafic commence à se densifier, voire à bloquer. Même le mercredi, il y a autant de monde que les autres jours ».
Une des explications à cette dégradation de la situation routière depuis la rentrée est un important chantier sur les quais rive gauche, ainsi que d'autres travaux. Ils contribuent à faire de Bordeaux l'une des pires métropoles de France pour son trafic routier. Jean-Pierre Allemand réside à Saint-Jean-d'Illac. « J'ai passé près de trente années en Île-de-France. Je retrouve aujourd'hui en zone urbaine bordelaise des conditions de circulation aussi denses que là-haut ! De ma ville vers les centres d'intérêt de Mérignac et de Bordeaux, il n'y a que la RD 106 et ses embouteillages, devenus fameux. Les transports en commun demandent au minimum de rejoindre d'abord Mérignac pour atteindre un premier parc relais. » Des parcs relais pour le tramway qui présentent maintenant le défaut d'être très souvent saturés, ce qui oblige à se garer loin des stations.
Le tableau est encore plus sombre si l'on y ajoute l'état actuel du trafic ferroviaire, avec des trains régulièrement en retard, en raison notamment de travaux sur les voies SNCF. Sans oublier un tramway sous-dimensionné devant la gare Saint-Jean (lire ci-contre). Il manque également de véritables transports en commun pour les déplacements de banlieue à banlieue. Christophe Philippe habite le centre de Bruges (au nord) et travaille dans la zone industrielle de Villenave-d'Ornon (au sud). « Quand tout va bien, je mets vingt minutes pour ces 20 kilomètres, au pire si la rocade est bloquée ou que je prends les boulevards cela monte assez vite à une heure et quart. Je regrette que les moyens de transports actuels ne puissent pas m'amener en moins de temps quelle que soit mon heure de départ dans l'un ou l'autre sens. »
Des transports en commun à améliorer et à développer, une rocade à élargir, et un grand contournement routier dont on se met à reparler. Les élus concernés ne manquent pas de sujets de réflexion pour sortir la capitale régionale de l'asphyxie routière.
Vincent Feltesse, Président de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB)
1. Vous faites également le constat d'une détérioration des conditions de circulation ?
Ce n'est pas contestable. Malgré les efforts faits pour les transports collectifs, il y a plutôt une dégradation des conditions de circulation. Les habitants de la CUB passent davantage de temps dans les transports. J'en tire plusieurs leçons. La première est que l'on ne doit pas seulement travailler sur les transports collectifs, en oubliant les autres modes de circulation.
2. C'est ce qui s'est passé avec le tramway. Vous avez trop compté dessus ?
Un peu. Le tramway a été une réussite, mais on doit davantage le faire coïncider avec l'habitat. Il est aussi nécessaire d'être plus fluide avec les autorités qui prennent des décisions sur les transports. La CUB n'est pas la seule concernée. Par ailleurs, le désengagement de l'État se fait sentir. Lorsque vous savez que la mise à deux fois trois voies de la rocade coûte 500 millions, on peut se demander où l'on va les trouver.
3. La solution va passer par quoi, un grand contournement routier ?
J'ai toujours dit que l'abandon du grand contournement n'était pas une bonne chose. Ce n'est pas une solution, mais on ne doit pas l'écarter. Une des priorités serait de créer une rocade de transports collectifs pour les déplacements de périphérie à périphérie.