par road66 » Jeu 06 Avr 2017 21:50
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source tribune de Genève:
Historique, le mot était sur toutes les lèvres. 300 invités ont assisté lundi à l’inauguration du dernier tronçon de la Transjurane entre Loveresse (BE) et Court (BE). «C’est la fin d’un chantier de plus de trente ans, a déclaré Doris Leuthard, présidente de la Confédération. Votre région n’est plus une périphérie.» Et d’ajouter, sourire en coin: «Ça a pris du temps, mais vous avez été plus rapides que les Valaisans.» Allusion aux retards de l’autoroute A9.
L’A16 relie désormais Boncourt à Bienne en moins d’une heure. Un nouveau lien entre la France voisine et le plateau suisse. Enfin, pas tout à fait. Si l’autoroute file désormais vers Zurich, Lucerne, les Grisons ou le Gothard, elle se heurte toujours aux travaux du contournement de Bienne pour rejoindre Berne ou l’arc lémanique. D’ailleurs pour les Vaudois et les Genevois, cet achèvement ne raccourcit pas encore les temps de parcours vers le Jura.
A la tribune, les orateurs se sont succédé pour rappeler l’ampleur de la tâche: construire une autoroute dans la géographie tourmentée et la géologie instable du relief jurassien. Pour intégrer au mieux dans le paysage ces 85 kilomètres de courbes sinueuses, il a fallu construire des tunnels, galeries, viaducs et ponts. Une prouesse, dont les coûts se sont finalement élevés à 6,5 milliards.
Opiniâtreté
Si le chantier a duré trente ans, le projet est, lui, bien plus ancien. Et il est intimement lié à l’histoire jurassienne. Il a en effet fallu faire preuve d’opiniâtreté pour que la région ne reste pas à l’écart des grands axes de communication. Un homme illustre ce combat: François Lachat, l’un des pères fondateurs du canton du Jura. «Je suis l’un des deux derniers survivants qui ont lancé ce projet dans les années septante, raconte l’ancien ministre jurassien. J’étais alors un jeune député bernois. Il a fallu se battre.»
En 1984, les autorités fédérales donnent leur feu vert, soit cinq ans après l’entrée en souveraineté du Jura. Cette autoroute était-elle un «cadeau» de la Suisse au dernier-né des cantons? «Sans la création du Jura, nous serions encore en train d’attendre.»
De ce rôle déterminant de l’indépendance jurassienne, pas un mot n’a été dit lundi lors de l’inauguration officielle du dernier tronçon. Pas vraiment une surprise, sachant que les festivités étaient organisées sur des terres ayant décidé de rester bernoises. Dans cette région où les bisbilles entre Jurassiens du Nord et du Sud continuent d’échauffer les esprits, la lecture des événements est tout autre. Ce n’est pas la création du canton Jura qui a été décisive, mais la mobilisation des habitants des deux régions, comme l’a expliqué Barbara Egger-Jenzer, conseillère d’Etat bernoise en charge des Travaux publics. Il était d’ailleurs piquant de voir à quel point certains des orateurs oubliaient systématiquement de citer – dans leurs discours – le nom des deux ministres jurassiens présents à l’inauguration.
Le paradoxe
C’est tout le paradoxe de cette autoroute. Elle relie deux régions qui continuent à se tourner le dos. «La Transjurane est une parabole de la Question jurassienne», estime Dick Marty, président de l’Assemblée interjurassienne (lire l'interview ici). Car il n’y a pas que la lecture historique qui soit différente d’un canton à l’autre, mais aussi l’importance que revêt l’A16. «La construction de la Transjurane est liée à un combat identitaire, reconnaît Nathalie Barthoulot, présidente du Gouvernement jurassien. Elle fait partie de notre ADN.»
Alors que le Jura conçoit cette autoroute comme un outil indispensable pour désenclaver tout un canton, la partie restée bernoise l’associe davantage à un moyen de délester le trafic dans les villages et de rejoindre plus rapidement le plateau. L’analyse de Manfred Bühler (UDC/BE), seul conseiller national du Jura bernois, est révélatrice. «C’est un trait d’union essentiel dans un sens comme dans l’autre. La Transjurane permet notamment de relier Bienne à Moutier.» Pas un mot de Delémont ou Porrentruy, les deux villes jurassiennes.
Berne et le Jura, des frères ennemis qui n’ont même pas réussi à s’entendre sur une date officielle d’inauguration. Refusant d’attendre que Berne ait terminé ses travaux, le Jura fêtait l’achèvement de sa portion d’autoroute en fin d’année dernière. De son côté, Berne n’a pas souhaité augmenter la cadence pour se coller à l’agenda jurassien.
Une guéguerre qui s’inscrit jusque dans l’impact visuel de l’A16. Alors que le Jura faisait appel à un architecte pour renforcer le côté identitaire de la Transjurane; Berne – dont le territoire comptait déjà plusieurs autoroutes – confiait les travaux à des ingénieurs. «J’ai vécu cela comme un deuil, raconte aujourd’hui Renato Salvi, architecte responsable de la partie jurassienne du tracé. Nous avions pourtant essayé de convaincre le Canton de Berne pour avoir une unité, car l’autoroute traverse le même paysage. Mais la politique s’est invitée dans l’autoroute.»
Symbole de cette division, la Roche Saint-Jean. Ce rocher qui marque la frontière entre les deux cantons est creusé d’une petite galerie, dont un portail est jurassien, l’autre bernois. «La Transjurane devait être un trait d’union entre ces deux régions. L’expression du conflit est désormais imprégnée dans la roche.»
Un point unit toutefois les deux régions. Celui des espoirs de développement liés à l’autoroute. «L’A16 a eu un effet de catalyseur, se réjouit David Eray, conseiller d’Etat jurassien. Son achèvement va le renforcer. Cet axe est le seul point d’entrée en Suisse entre Genève et Bâle qui ne soit pas en altitude.» Et d’énumérer les entreprises qui se sont déjà implantées dans le Jura. «A l’avenir, ce sera bénéfique et profitable pour l’économie locale, régionale et nationale», conclut Barbara Egger-Jenzer. (TDG)