LGV SEA Tours-Bordeaux : une concession bientôt en faillite ?
Sous le titre « La LGV Tours-Bordeaux échappera-t-elle à la malédiction des PPP ferroviaires ? », le n° 494 de Transports (novembre-décembre 2015) publie un article d’Yves Crozet, professeur à l'Université de Lyon. Il n’exclut pas la faillite du concessionnaire de la ligne, dont la mise en service est prévue à l'été 2017.
http://www.cade-environnement.org/files/2016/02/PointSur-CommissionMobilite21-Y-Crozet-janvier2016.pdfExtraits :
« En plaçant le gestionnaire d’infrastructure et l’exploitant ferroviaire sous la tutelle d’un même EPIC de tête, la loi du 4 août 2014 a de fait fragilisé le contrat de concession SEA. Désormais, quel que soit le scénario de l’après-2017, la SNCF n’a pas intérêt à ce que Lisea subsiste, que la fortune lui ait souri ou non.
■ Si la rentabilité de SEA était au rendez-vous, SNCF Mobilités pourrait en prendre ombrage. Cela ne se ferait-il pas sur son dos, sous la forme de pertes commerciales pour les services assurés sur cette ligne ? De son côté, SNCF Réseau aurait tout intérêt à récupérer ce segment de réseau profitable : il y en a si peu!
■ Si, au contraire, le concessionnaire subissait des pertes, alors sa faillite serait une bonne façon de replacer l’infrastructure dans le giron de SNCF Réseau et de convaincre l’Etat de baisser les péages en accroissant ses dotations au gestionnaire d’infrastructure. (…)
Il est donc probable que l’avenir de la concession SEA soit lié à une stratégie plus globale de traitement de la grave crise financière dans laquelle va se trouver, dans les années qui viennent, le système ferroviaire. Une des composantes du « package » destiné à « sauver le soldat SNCF » pourrait être de traiter les problèmes que lui pose le lancement presque simultané de quatre LGV. Cela ne signifie pas forcément la faillite du concessionnaire de SEA, mais sans doute une renégociation sur les péages de SNCF Réseau, voire, moyennant compensations, sur ceux de Lisea. (…)
GPSO et les projets LGV à quitte ou double ?
Afin de convaincre les collectivités territoriales de financer la ligne Tours-Bordeaux, il a fallu leur promettre le Grand Projet du Sud- Ouest (GPSO), c’est-à-dire le prolongement de la LGV vers Toulouse, Dax, Bayonne et l’Espagne. Les collectivités se sont donc engagées à fournir 1,5 Md€ en échange d’une promesse que la DUP de GPSO serait signée au moment du lancement de SEA et que les services TGV se développeraient. Or, pour 2017, la SNCF ne propose pas d’accroissement sensible des fréquences sur les villes moyennes. (…)
La concession ne sera pas un système envisageable du fait de la faiblesse des trafics. SNCF Réseau ne ferait en finançant GPSO que développer sa mauvaise dette. Quant à l’Etat, il ne peut supporter seul les 7 à 8 milliards de coûts associés à ce projet (…)
Mais comprenons aussi que sans GPSO, les perspectives de trafic sur SEA sont encore plus mauvaises. La montée en charge des trafics au long des 50 années de concession a besoin des dessertes vers Toulouse, les plus à même d’apporter de nouveaux clients à la grande vitesse ferroviaire. Ainsi, les élus nationaux, les élus locaux et le concessionnaire demandent de fait la poursuite du projet GPSO. Comme sa réalisation est très hypothétique, nous tenons là l’une des principales raisons des difficultés programmées de la concession SEA. Sur la base de ces difficultés, le concessionnaire et la SNCF vont développer leur jeu. Pour l’un, il s’agit de se retirer à moindre frais du projet, pour l’autre de reprendre le contrôle de l’infrastructure et des péages avec l’aide de l’Etat. Pour les deux, l’Etat doit payer et il le fera, car c’est lui qui s’est mis en fâcheuse posture. La SNCF peut rappeler qu’elle n’avait pris aucun engagement sur les trafics, que les péages sont décidément exorbitants, qu’il ne serait pas raisonnable de voir un concessionnaire privé prospérer sur une ligne sécrétant des pertes pour SNCF Mobilités, etc. »