Libération a écrit:La mairie de Nice glisse sur un pot-de-vin
Le chantier du tram «prend l'eau», titrait jeudi Nice-Matin. Juste une histoire de canalisation percée. Mais bien vue : le tramway prend bien l'eau de toutes parts, sous l'effet d'un nouveau chantier de corruption.
L'affaire a jeté en prison un élu de la ville, un intermédiaire et Michel Josserand, ex-PDG d'une filiale de Thales. Thec (Thales Engineering & Consulting) avait remporté le marché de maîtrise d'oeuvre en 2002, moyennant la promesse d'un pot-de-vin de 180 000 euros, dont la moitié a été versée. Après la corruption sur le projet de grand stade, qui a conduit en prison, en 2002, le patron de l'administration municipale Michel Vialatte (1), revoilà Jacques Peyrat (UMP, ex-FN) aux abois. Il s'excuse : «Un Judas» l'aurait trahi. Un air déjà joué pour Vialatte. «Je croyais avoir expurgé toute la merde, a dit Peyrat à Nice-Matin, vendredi. Un Judas pour trois deniers m'a encore trahi [...] Je ne pardonnerai jamais ce salopard.» Pas sûr que la manoeuvre marche. «Judas, le Christ n'en a eu qu'un...», ironise Patrick Mottard (PS), leader de l'opposition.
«Faiblesse coupable». Le nouveau s'appelle Dominique Monleau. Conseiller municipal sous-délégué aux transports, il était le monsieur Tramway de la ville. Mis en examen par le juge Guéry pour corruption passive et écroué vendredi, il reconnaît sa «faiblesse coupable», selon son avocat, Me Gérard Baudoux. Difficile de faire autrement : les enquêteurs ont saisi chez lui des éléments sur son compte en Suisse dénommé Tereva, du nom de son ancien bateau. Monleau y a touché d'abord 45 000 euros, versés par Thales via Gibraltar, puis à nouveau 45 000 euros, directement, au moment où Vialatte se faisait arrêter.
Avant le troisième paiement, Thec a mis le holà et licencié deux responsables, dont son PDG. Puis dénoncé l'affaire, en portant plainte courant mars. Manière de se protéger ? Les enquêteurs niçois s'interrogent. «Le nouveau PDG a eu connaissance des faits en novembre 2003, a licencié les auteurs en janvier 2004», note le vice-procureur Gilles Accomando. Thec a ensuite réfléchi quatorze mois avant de porter plainte. Crainte que l'affaire soit dénoncée ? Peur d'une réaction en chaîne ? En novembre 2004, la découverte d'une corruption sur un marché public au Cambodge a valu à Thec une interdiction de contrat avec la Banque mondiale pour un an. Ou froid réalisme économique ? Selon Me Baudoux, «comme le contrat niçois leur revenait beaucoup trop cher, ils tentent d'en sortir par ce biais. Ce réflexe n'a rien à voir avec la vertu».
Mis en examen pour corruption et abus de biens sociaux, écroué samedi, Michel Josserand, ex-PDG de Thec aujourd'hui directeur d'une filiale d'EADS, soutient qu'il a laissé faire ses cadres, sans plus. Egalement écroué vendredi, Robert Bernigaud, consultant et ami de Dominique Monleau, figurant sous le doux nom de Mimosa dans le téléphone portable de l'élu, aurait servi d'intermédiaire. Il nie toute participation délictuelle. Un quatrième acteur, responsable régional de Thec, a été mis en examen et laissé en liberté.
Bizarrerie. Le marché du tram (14,3 millions d'euros) avait déjà soulevé les interrogations de la chambre régionale des comptes, en janvier 2004. Pourquoi privilégier Thales plutôt que Semaly, auteur d'une offre antérieure moins chère de 1,6 million d'euros ? Mystère. Autre bizarrerie, le rejet d'un troisième candidat, Obermeyer, écarté par Peyrat, selon les magistrats de la chambre régionale, «au motif que la rigueur allemande était incompatible avec la mentalité niçoise». Ach so !
Le maire s'en relèvera-t-il ? Prétendre qu'il ne savait pas étonne certains élus, qui affirment avoir tiré la sonnette d'alarme sur Monleau. Patrick Mottard (PS) rappelle que, «en 1990, un homme politique disait de Jacques Médecin : "Il n'est pas pensable qu'un patron dise qu'il ne savait pas. S'il ne savait pas, c'était un mauvais patron."» Cet homme politique s'appelait Jacques Peyrat... Quant au chantier du tram, il va se poursuivre, mais comment ? Peyrat a annoncé jeudi qu'il rompait le contrat avec Thales. Pas si simple. En cas d'annulation, des retards sont à craindre, potentiellement explosifs pour le maire : le tram est le seul de ses grands projets qui avance.
(1) Condamné, en juin 2004, à cinq ans de prison, dont dix-huit mois avec sursis.
Ca ve trainer je vous dis
