Désolé de prendre la discussion un peu tardivement.
Non, ce tracé n'a rien à voir avec la ville nouvelle du Vaudreuil : son implantation n'a été décidée que quelques années plus tard. En fait, il s'agit du tracé final de la première section de la "Bretelle du Neubourg", une des 2 branches d'une variante de l'A13 qui est apparue dans l'histoire en 1961 sous le nom de "variante en fourche". Ce plan est une belle découverte parce qu'aucun de ceux que j'ai dénichés dans mes recherches n'est aussi précis (Frantz : tu l'as trouvé où ? J'espérais qu'il y aurait un dossier complet aux AD27 mais j'y ai fait chou blanc).
Cette "variante en fourche" est un des épisodes de la laborieuse mise au point du tracé, l'A13 étant une des seules autoroutes françaises qui n'a pas fait l'objet d'une approbation ministérielle globale du tracé, essentiellement en raison des intenses rivalités régionales qui ne demandaient qu'à s'enflammer. Je vous résume rapidement ce que j'ai découvert au cours de mes investigations dans les archives.
Au départ, en 1955, quand le principe d'une autoroute "Paris - Côte-Normande" a été retenu, l'idée était de construire un système ramifié, seul à même de desservir à un coût raisonnable l'ensemble des principales agglomérations normandes : une autoroute unique, plus ou moins en ligne droite d'Orgeval à Trouville, avec des bretelles latérales vers Évreux (RN13 réaménagée depuis Chaufour), Rouen (RN13 bis réaménagée depuis Heudebouville), le Pont de Tancarville et Le Havre (voie nouvelle depuis Amfreville), Lisieux (voie nouvelle à construire entre Lieurey et l'Hôtellerie) et Caen (RN815 réaménagée depuis Pont-l'Évêque).
Une fois franchies les limites de la région parisienne, le tracé se situait presque entièrement dans le département de l'Eure donc c'est l'ingénieur-en-chef des Ponts-et-Chaussées de ce département qui a été chargé de l'étude détaillée. Au début de 1958, son projet avait légèrement évolué pour se rapprocher du Pont de Tancarville, qui allait bientôt être mis en service, afin d'améliorer la liaison vers Le Havre. Le tracé qui semblait alors sur le point d'être retenu partait de l'extrémité de l'autoroute de l'Ouest à Orgeval et il suivait plus ou moins le tracé actuel jusqu'à Ailly, un peu avant la barrière de péage d'Heudebouville, en reprenant une grande partie de la déviation Mantes-Bonnières en cours de construction. A Ailly se détachait la bretelle pour rejoindre, au-delà d'Heudebouville, la RN13bis qui devait être aménagée à 3 voies jusqu'à l'entrée de Rouen. A partir d'Ailly, il était prévu que l'autoroute traverse l'Eure au Sud de Louviers (au même endroit que sur les 2 plans mais la descente dans la vallée était un peu différente) puis elle filait tout droit sur le plateau entre Seine et Risle jusqu'à un village nommé Fourmetot, au Nord-Est de Pont-Audemer, qui aurait été son terminus provisoire. De là, une courte bretelle, dont le financement aurait été assuré par la Chambre de Commerce du Havre, aurait rejoint la voie d'accès au pont de Tancarville, tandis que les usagers allant vers la Côte Normande auraient été temporairement dirigés vers Pont-Audemer par la D139 réaménagée puis ils auraient emprunté les RN180 et 815, elles aussi aménagées à 7 m ou 10,50 m, en attendant que l'autoroute soit un jour prolongée jusqu'à Saint-Maclou, voire Pont-l'Évêque, quand la croissance du trafic le justifierait. Quelques élus rouennais, menés par André Marie, député-maire de Barentin et ancien ministre influent, tentaient de faire pression pour que les Ponts-et-Chaussées étudient un tracé concurrent desservant plus directement Rouen par la rive droite de la Seine en suivant plus ou moins la RN14 à partir de Pontoise, mais celle variante est éliminée fin 1958 en raison de son coût très supérieur au tracé par Mantes.
On s'acheminait donc vers la validation de ce tracé et la création d'une Société d’Économie Mixte par les Chambre de Commerce locales pour en devenir concessionnaire quand, vers le milieu de 1959, l'influent lobby politico-économique rouennais, organisé officiellement sous l'appellation "Centre d’Études d'Intérêt Public de Rouen et de sa Région" et qui était resté totalement indifférent au sujet jusqu'alors, s'est subitement réveillé. Sans contester l'option "rive gauche" au départ de la région parisienne, ils ont réussi en quelques mois à faire valoir plusieurs arguments imparables pour que le tracé soit réorienté vers Rouen :
- dans le cas du tracé direct vers Pont-Audemer, le trafic résiduel sur l'autoroute après la sortie vers Rouen justifierait difficilement un aménagement de type autoroutier avant de longues années (l'IC de l'Eure prévoyait d'ailleurs une chaussée unique de 9 m dans un premier temps)
- de plus, la section Louviers - Pont-Audemer, très longue, ne pourrait pas être phasée, aucune ville importante n'étant desservie dans l'intervalle
- inversement, le trafic vers Rouen et ses zones industrielles était appelé à croître rapidement dans de très forte proportions et un simple aménagement à 3 voies d'une route nationale sera vite insuffisant
- d'importants investissements routiers sont nécessaires à court terme à Rouen pour désenclaver les quartiers industriels de la rive Sud de la Seine (dans la boucle du fleuve appelée localement "œuf du Rouvray"), avec notamment la construction d'une "rocade Sud" comportant un nouveau pont sur la Seine entre Oissel et Tourville-la-Rivière, et il ne serait pas illégitime de chercher à les coupler avec ceux de l'autoroute
- le trafic en direction du pont de Tancarville et du port du Havre sera indubitablement plus important si l'autoroute passe à proximité immédiate des zones industrielles de Rouen.
Dans un premier temps, le Service Spécial des Autoroutes (qui avait repris le dossier depuis fin 1958) avait envisagé de leur donner satisfaction en se limitant à tracer une bretelle autoroutière vers Rouen. Celle-ci aurait repris la déviation récente du Vaudreuil et le projet de Rocade Sud pour aboutir aux Essarts alors que le tracé principal de l'autoroute vers Pont-Audemer aurait été maintenu à partir de Louviers. Cependant, de fil en aiguille, ils sont parvenus à la conclusion qu'il serait largement plus rentable de faire carrément passer l'autoroute aux abords immédiats de l'agglomération rouennaise par la presqu'île du Rouvray, puis de rejoindre La Maison-Brûlée et de filer droit vers Fermetot en longeant plus ou moins la RN180. Le tracé "Eure par le plateau" devenait un tracé "Seine-Maritime par le Rouvray".
Au début de 1960, après avoir recueilli un accord quasi unanime du côté des élus rouennais, ils ont cru être arrivés au bout de leurs efforts et ils ont entrepris la rédaction de leur rapport pour la prise en considération du tracé au niveau ministériel. Pour anticiper d'éventuelles craintes du côté de la Côte-Normande, ils avaient simplement prévu de prolonger l'autoroute au-delà de Pont-Audemer, jusqu'à Pont-l'Évêque où se débrancherait une bretelle vers Deauville/Trouville, mais ce tracé, présenté le 30 décembre 1960, n'a jamais été pris en considération par le ministre.
En effet, dès que les élus de l'Ouest de l'Eure, du Calvados et de la Manche ont appris que Rouen était sur le point de réussir à "aspirer" le tracé de l'autoroute, ils sont monté à l'assaut du ministre des Travaux Publics Robert Buron (délégation de parlementaires reçue une première fois au ministère le 22 octobre 1959) pour lui demander de bien vouloir faire étudier une solution totalement différente de celle qui était envisagée par l'administration centrale Ponts-et-Chaussées. Leur crainte était que, si la variante "Rouvray" venait à être entérinée, il était fort probable, vu les graves difficultés économiques du gouvernement, qu'une fois l'autoroute construite jusqu'aux Essarts, ce terminus provisoire le reste pendant de longues années et que la Basse-Normandie ne soit pas desservie avant longtemps.
Ils proposaient donc une autre solution, dite "variante en fourche" selon laquelle l'autoroute se diviserait en deux branches au niveau de Louviers pour atteindre d'une part l'agglomération de Rouen en suivant plus ou moins la RN13 bis ou un autre itinéraire par Elbeuf et, d'autre part, la RN13 dans les environs de La Rivière-Thibouville en suivant plus ou moins la D133 jusqu'au Neubourg. Au-delà, vers Bernay, Lisieux et Caen, la RN13, axe traditionnel de la desserte de la Basse-Normandie, serait aménagée progressivement en fonction des moyens budgétaires et de la croissance du trafic, tout comme la RN180 entre Rouen et Pont-Audemer pour l'autre branche. Selon eux, cet aménagement avec deux branches autoroutières relativement courtes complétées progressivement par un aménagement des routes existantes en fonction du trafic réellement constaté serait nettement moins cher et plus réaliste qu'un luxueux aménagement autoroutier continu jusqu'à la côte, basé sur des hypothèses d'évolution du trafic à 15 ans et de calcul de la rentabilité économique très incertaines.
Variante en fourche 4.jpg
Pour leur intervention au niveau de Robert Buron, les élus de Basse-Normandie disposaient d'un atout majeur au sein même du gouvernement : son collègue ministre des Anciens Combattants, Raymond Triboulet, élu du Calvados depuis 1946 mais surtout éminemment réputé pour avoir été, en 1945, le premier sous-préfet nommé par De Gaulle à la Libération pour l'arrondissement de Bayeux.
Et cette intervention est rapidement couronnée de succès : dès le 9 février 1961, après une réunion interdépartementale solennelle des élus à la sous-préfecture de Bayeux le 21 novembre précédent, Robert Buron confirme à Robert Triboulet que ses services vont évaluer la "variante en fourche" concurremment à celle par "Le Rouvray".
Dès lors, le Service Spécial des Autoroutes va devoir avancer sur la pointe des pieds. Il fallait faire avancer le plus vite possible la branche la plus urgente et rentable économiquement, celle vers Rouen et Pont-Audemer, tout en prenant des dispositions pour pouvoir être en mesure de lancer rapidement les travaux vers Le Neubourg si jamais une décision politique venait à être prise dans ce sens. On trouve ainsi aux archives :
- une décision ministérielle du 5 mars 1962 approuvant le tracé de la bretelle du Neubourg au niveau de Louviers (malheureusement sans le dossier, ni les plans…
)
- une note du ministre au préfet de l'Eure le 20 novembre 1962 confirmant, suite à la question d'élus locaux, que "la prise en considération récente de la section Heudebouville - Les Essarts n'implique nullement l'abandon d'un projet d'autoroute vers La Rivière Thibouville, que cette possibilité de rejoindre la RN13 à partir du tracé approuvé subsiste intégralement et que les études concernant ce projet sont activement poursuivies"
- le plan de l'échangeur entre la branche vers Rouen et celle du Neubourg dans les dossiers d'APS (7 décembre 1962) et APD (27 juin 1964) de la section Chaufour - Ferme du Vieux Rouen (Vironvay).
On trouve encore dans les dossiers de l'A13 un entretien de Raymond Triboulet avec le tout nouveau ministre de l’Équipement Albin Chalandon le 15 novembre 1968 et ce n'est qu'avec l'assurance donnée par celui-ci que l'A13 serait bien prolongée rapidement jusqu'à Caen avec un échéancier précis (Bourg-Achard en 1971, Pont-l'Évêque en 1973, Caen avant 1975) qu'il a considéré que ses objectifs essentiels avaient été atteints et que l'aménagement d'une bretelle vers Le Neubourg devenait inutile.
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